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Premier Péché

reprenait de la gaieté, son regard de la vivacité, sa bouche se faisait moqueuse pour une raillerie fine et acerbe : je la reconnaissais.

Dans ma joie, j’allais le lui crier quand, soudain, l’éclaircie joyeuse se voila tristement, comme ces gazes ombrant les merveilles éclatantes d’Orient… puis le triste s’accentua, c’était maintenant un pâle linceul… et d’une voix où rien ne vibrait plus :

Tout cela, c’était le beau temps, et maintenant…

— Et maintenant ? fis-je en écho fidèle.

— Oh ! maintenant, c’est l’ennui, la lassitude, l’irréparable. Et une petite main se posa sur les yeux, les diamants scintillèrent, imitant des pleurs.

— On m’envie, on me loue, on m’encense ; toutes mes fantaisies deviennent des réalités ; j’ai vu, sans les admirer, toutes les merveilles des mondes ; la France et l’Italie m’ont dévoilé leurs splendeurs ; l’Océan m’a montré sa beauté et sa fureur ; j’ai gravi les hauts pics d’Outre-Mer ; j’ai côtoyé des précipices ; j’ai visité des pagodes indiennes ; j’ai vu le sable des déserts ; le Sphinx ne m’a pas surprise ; les Pyramides ne m’ont pas étonnée, et en pleine Palestine, courbée sur la terre où était mort le Christ… je suis restée froide comme le marbre de son tombeau.

Elle appuya sa belle tête sur le dossier du fauteuil, comme lasse de cette longue conversation. Puis de cette voix lente qui faisait mal :

— Je ne suis plus une femme, mais une ombre ; je m’agite ; je ne vis pas… car mon cœur est mort !

— Mort ! répétai-je inconsciemment et de quoi ? — De rien, répondit-elle froidement. — Et votre mari ? repris-je.

— Mon mari est un homme charmant, intelligent et bon. Il m’aime, et n’a qu’un regret : celui de ne me deviner aucun caprice. Je l’aimerais si j’en étais capable, mais je ne souffre nullement de ce manque d’amour.

— Un enfant ! pensai-je. Oh ! si vous aviez un enfant.

Toujours ce même sourire indifférent.

— J’en ai un qui dort là-bas ; il avait un an quand je lui ai mis sa dernière toilette… et je n’ai pas pleuré. Pourtant, il était joli ce mignon, et m’embrassait bien gentiment.

Ce fut tout. Pas une lueur tendre ne voila le brun de ses yeux.

Maintenant, l’atmosphère du boudoir me semblait chargée d’effluves malfaisants, j’éprouvais un vif malaise, les idées se choquaient dans mon cerveau, et je crus que mon cœur agonisait.

Et comme je m’en allais : « Ne me méprisez pas, fit mon amie, je suis une malade morale, et mon cas est désespéré ! » Oh ! cette voix morte !