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Premier Péché

Et lui ne l’aimait pas ? Thérèse croyait bien que jamais le cœur de Jacques ne battrait du mouvement qui bouleversait le sien. Mais que lui importait : — cette pensée lui donnait une âpre satisfaction. Elle avait l’égoïsme de sa douleur : seule, elle voulait souffrir, comme seule, elle voulait aimer. Thérèse n’oubliait rien ; son cœur s’arrogeait un droit, elle voulait que ce crime involontaire n’eût pas de complice.

Pauvre petite, coupable sans l’être, et qui préférait subir toutes les souffrances que d’en donner une seule…

Et voilà tout ce que la jolie enfant murmure au petit cahier rouge, humide encore de deux larmes… Sans révolte, elle songe à sa vie future ; pas un instant, l’idée ne lui vient de briser une chaîne volontairement nouée. Non, jamais… elle sent bien que ce droit-là est perdu ; elle s’interdit la pensée du regret…

J’oublierai… j’aimerai qui m’aime… C’est un caprice qui passera, répète-t-elle pour la centième fois. Mon Dieu ! pourquoi ne pas aimer qui vous aime ?

Pourquoi ! Oh ! l’éternel pourquoi des destinées.

— « Ma Thérèse, je vous revois toute petite avec du rire plein vos jolis yeux. Que je vous aimai alors, et que je vous aimai depuis ! Tout mon amour me remonte du cœur aux lèvres, et je ne puis pas vous l’écrire moi-même. J’ai tenté de tenir la plume, mais c’est étonnant comme la main est faible lorsque l’on va mourir. Dire que je partirai sans un regard de vous, ma Thérèse, et sans presser votre chère petite main dans une dernière étreinte… Oh ! ouvrez votre cœur, ma petite, je veux y mettre tout mon amour, ce trésor-là aura une tombe choisie, pendant que moi, je dormirai, bien loin de vous, ma jolie fiancée. Je vous aime, et je meurs. M’oublierez-vous ? Les mourants ont la vue ouverte sur l’avenir, et j’y vois ma Thérèse me donnant plus d’amour dans la mort que dans la vie… Soyez heureuse, ma chère petite, pour tout le bonheur que vous m’aviez promis ; ma pensée suprême est une bénédiction. Au revoir, chère, où tous on se retrouve, et une dernière fois, sur la terre, j’effleure de mes lèvres vos petites mains aimées. N’oubliez pas ! Adieu, mon amour. Charles. »

Le cœur a passé son caprice, et la pauvre petite Thérèse en est restée pâlie et courbée, comme ces pauvres plantes qu’une rafale a secouées et qui demeurent languissantes sur la tige épuisée ; — elle est devenue une fleur de tombeau.

Le rire s’est éteint sur les jolies lèvres, laissant un pli d’amertume qui se creuse chaque jour davantage.

Son cœur est mort de n’avoir pas assez aimé, le remords le tua, le jour où cette lettre fatale apporta un si touchant adieu. Charles ne s’était pas trompé, elle l’aima plus fort dans la mort. Il