Page:Glouvet - Croquis de femmes, AC, vol. 61.djvu/12

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chandelle au pied du formidable amoncellement. Jaquette revint alors sur ses pas d’une allure plus précipitée, pour fuir l’incendie naissant. Le plancher craqua faiblement sous ses pieds, et la voix d’un soudard à demi réveillé se fit entendre dans la grange. La jeune femme n’osait bouger ; au moindre mouvement le bruit pouvait la trahir. Cependant d’imperceptibles pétillements crépitaient déjà derrière elle ; une âcre odeur de fumée commençait à se répandre. Tout était devenu péril ; une horrible angoisse l’étreignait. La voix s’éleva une seconde fois, mais l’appel se perdit dans un grognement ; ivre ou las, le lourdaud s’était rendormi. Elle reprit alors, en rampant sur le foin, son périlleux voyage, et gagna sans nouvelle alerte les abords de la lucarne. Là elle dressa son second foyer, inclina d’un doigt tremblant la mèche enflammée, puis alluma la filasse, qu’elle lança au hasard sur le tas. Il fallait descendre : les hommes, assoupis, ne la gênaient certes pas ; mais une épouvante instinctive, née de l’action commise, la paralysait ; ses forces lui faisaient défaut. Les barreaux de l’échelle lui semblaient innombrables ; le brouillard enveloppait la terre à des profondeurs inconnues ; ses jambes se dérobaient sous elle ; elle n’osait plus. La veuve ferma les yeux en s’élançant, afin d’échapper au vertige. Son courage l’avait abandonnée. Elle tomba lourdement sur le sol. Plus que la cour à passer : elle n’osa point. Cette fois, la malheureuse fit le tour extérieur des maisons, traversa les jardinets ; ses mains, déchirées par les épines, pendaient inertes. Elle avait peur. Ses jambes appesanties la portèrent à grand’peine jusqu’à sa maison ; ses tempes battaient. Elle dut s’appuyer au mur pour entrer, Jaquette cependant avait conscience d’elle-même. Une curiosité poignante, effroyable, la secouait tout entière. Incapable de se tenir debout, elle tomba à genoux derrière la petite fenêtre pour voir…

Le jour commençait à poindre. L’incendie couvait dans le foin tassé. Une fumée épaisse et grise s’échappait de la lucarne et sortait en maigres fusées des fissures du toit. Quelques étincelles rapides brillaient sourdement. Les soldats demeuraient immobiles au-dessous, dans la grange, ensevelis dans leur sommeil de plomb. Ces hommes assurément étaient des traînards débandés, sans chef et sans discipline. Ils avaient cherché un refuge là, sans souci de l’heure suivante, tels que des sangliers dans leur bauge. Un tonneau renversé près du faisceau d’armes trahissait le secret de leur insouciance : exténués de fatigue à la suite de longs maraudages et gavés de vin, ils avaient roulé sur le dos et ronflaient. L’incendie cependant se développait, invisible et mystérieux, au-dessus de leurs têtes, dans sa formidable incubation. Jaquette, la sueur au front et haletante, regardait.

À cet instant, un Silésien se leva avec lenteur au milieu de la grange, s’étira, enjamba ses compagnons et s’approcha du feu de bivouac. Elle discernait tous ses mouvements aux