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les mains, près de la maison pillée, comme le fantôme de la Vengeance devant l’Invasion. Il voulut fuir ; mais un épouvantable tumulte qui s’éleva tout à coup au fond de la cour le glaça d’effroi, et il demeura cloué sur place.

L’incendie éclatait subitement. Les masses de foin s’étaient graduellement embrasées, sans tapage et sans lueurs ; l’immense foyer couvert avait gardé son secret. Puis la toiture à la fin crevassée laissa le vent s’engouffrer : un courant d’air s’établit ; l’effroyable fumée noire trouva issue et s’échappa. L’épaisse colonne tournoya, bondit et s’éleva, portant dans ses flancs de rouges panaches de flamme. L’éclosion fut instantanée. Le feu de toutes parts se tordit, fusa, courut à travers les charpentes surchauffées. D’énormes craquements annoncèrent la dislocation furieuse : le plancher s’écailla et presque aussitôt s’écrasa dans le vide de la grange avec de sinistres détonations. Une lumière horrible fit violemment sortir des ténèbres crépusculaires le village, les arbres et les champs voisins. Une pluie opaque d’herbes brûlées enveloppa la cour de son linceul noir.

Peu de minutes avaient suffi pour que le fléau sournois fût devenu catastrophe. Quelques routiers allemands, arrachés au sommeil par la chute des plâtras avaient pu saisir à la hâte leur fusil et quitter la grange avant l’effondrement ; ils couraient, croyant à une attaque, et terrifiés ; tous les autres, surpris dans l’insensibilité de l’ivresse, dormaient du dernier sommeil sous les débris vengeurs du grenier fumant. Maintenant l’écurie brûlait. Les flammes montaient en spirale sous le ciel empourpré : les partisans du Plessier étaient désormais avertis.

Jaquette, l’œil hagard, contempla une dernière fois le rosier brisé, et tout à coup, hurlant devant le sacrilége énorme, se rua sur le Silésien. La fourche, à deux reprises balancée, frappa l’homme à la poitrine. Les dents brillèrent au reflet de l’incendie et disparurent sous l’étoffe sombre.

L’homme jeta un appel désespéré, lâcha son sabre et tomba sur la terre molle. La femme vociférait :

— Tu l’as tué, notre rosier ; sois puni, tu l’as tué !

Implacable, féroce, elle frappait encore, toujours, le meurtrier du rosier ; d’un geste sauvage, elle ramenait la fourche et la plongeait furieusement dans la gorge de l’étranger. Celui-ci cessa peu à peu de se débattre et roula inerte sous les coups. Jacquette hurlait :

— Tu l’as tué… À ton tour !

Ceux des envahisseurs que le feu avait épargnés accouraient, exhalant des grognements de fureur et l’arme brandie…

— Venez, s’écria la veuve. Vous pouvez me faire mourir à présent. Jacques et son rosier sont vengés ; nos gens ont leur signal. Je n’ai plus besoin de vivre, moi… Vive la France.

Jules de Glovet.



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