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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/192

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conjurés, non leur vie, non leurs biens, mais l’existence nationale, mais les dieux de la patrie, certes, ni les Fabius, ni les Marcellus, ni les Servilius, ni la gens Marcienne ne s’ennuyaient ni ne languissaient. Quand le moyen âge, se montant la tête, allait jouer sang et fortune dans les déserts lointains de la côté d’Asie, ni la langueur, ni l’ennui n’effleuraient non plus l’imagination des chevaliers, et, quand, dans nos guerres civiles, les Montmorency et les Châtillon, les Guises et ceux de Navarre se poussaient les uns aux autres, l’épée et la dague à la gorge, pour essayer de devenir le premier, on ne languissait pas davantage, et l’ennui n’avait point de place entre l’espérance du triomphe et les fureurs de la défaite. Descendons encore ; quand, à défaut de l’amour de la cité, de la foi rayonnante, de l’ambition du premier rang, les générations déchues, mais non complétement énervées, se laissèrent rouler dans les divertissements maculés et les espérances folles du dernier siècle, il y eut de la violence, force expirante, à ces excès de soupers, à ces turbulences philosophiques ; mais, de nos jours, les riches n’ont plus rien à vouloir ; ils peuvent courtiser à leur gré les vanités de situation ; l’orgueil de caste est trop haut placé pour leur petite taille ; ils n’ont point de fanatisme religieux, ils sont trop honnêtes gens pour l’ambition échevelée, trop justement timorés pour la débauche ; ce n’est pas de la passion que de craindre périodiquement la torche allumée de la canaille ; ils se remuent un peu entre le tapissier, la lingère, le fabricant de voitures, la marchande de modes ; payent des notes et s’ennuient. Il n’y a pas de théorie, si spiritualiste qu’elle soit, qui puisse les tirer de là.

Comme les femmes ont un sentiment plus délicat que leurs époux, elles subissent plus complétement aussi les