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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/216

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jour ; j’aurais dû m’éloigner à l’heure même où m’était arrivé le premier avis de l’état misérable où en était réduit M. Tonski. Le ciel m’en a cruellement châtiée ! Vous savez tout maintenant. Je ne le reverrai jamais… jamais plus ! L’ami de ma jeunesse !… Celui-là seul que j’ai aimé ! Je l’aime toujours, Lucie ! Et, misérable que je suis, je ne peux pas mourir ! Je n’ai pas su être une femme forte et résolue ! Je n’aurai pas de pardon !

C’est ainsi que cette belle âme acheva de se confesser. Lucie était en larmes. Elle n’eût jamais imaginé qu’une créature aussi sublime pût exister sur la terre. Elle était anéantie devant tant de beauté, tant d’éloquence, tant de feu, tant de vertus, tant de repentirs, tant de perfections et un tel effondrement de malheurs et d’injustices du sort et des hommes amoncelés les uns sur les autres ! Et vous, cieux et terres, océans et rivières, divinités des bois, nymphes, égypans, sylvains et satyres, n’en doutez pas une minute, Sophie Tonska croyait au pied de la lettre que tout ce qu’elle venait de raconter d’elle-même était rigoureusement vrai, et même qu’elle avait modestement diminué la magnanimité de ses actes et de ses paroles ! Et on fût venu lui lire un récit matériellement exact de son dernier entretien avec le prince de Burbach, récit attesté par quatre témoins et paraphé de deux notaires, elle l’aurait immédiatement argué de faux. Tout le monde plus ou moins est ainsi fait. Gœthe a écrit l’histoire de sa vie sous le titre bien pensé de : Fiction et vérité. Il avait le sentiment net des choses et savait de science certaine qu’il allait se peindre en beau. Madame Tonska n’était pas un philosophe, et elle se voyait comme il lui était agréable de se voir. M. le prince de Deux-Ponts et M. le duc d’Olivarès n’étant pas des personnages de cette histoire, il est difficile de savoir exac-