que plus tard. Elle m’a voulu, je me suis donné ; je me suis donné en résistant, ou plutôt en croyant résister… mais elle est si fine ! Elle ne s’y est jamais trompée ! Je me suis donné. Alors… elle m’a… comment dirai-je ?… Eh bien ! elle m’a rendu jaloux ; elle m’a rendu jaloux ; elle m’a dit de ne pas l’aimer ; elle m’a dit de la fuir ; elle m’a dit qu’elle était dangereuse, et pendant qu’elle parlait elle me scellait à ses pieds. Et ensuite, eh bien ! ensuite, elle m’a dit qu’elle avait beaucoup d’amitié pour moi, et… comment vous dire ?… Eh bien ! oui, elle m’a chassé !
— Est-il possible ? s’écria Harriet en joignant les mains.
— Je dis qu’elle m’a chassé. Elle m’a dit que… Enfin, elle m’a chassé ! Je me persuade à moi-même toutes sortes d’erreurs ! Je me persuade que je ne l’aime pas, que je ne l’ai jamais aimée, que je ne l’aimerai jamais !… Je me dis que je suis très-heureux que cette histoire ait fini ainsi ; que mon orgueil blessé doit bien me servir de bouclier ; je me dis qu’en tout cas il n’y a pas de souffrances éternelles, et que les peines de l’amour sont fragiles ; je me dis qu’on ne souffre pas quand on ne consent pas à souffrir, et qu’une douleur bien niée n’est pas une douleur. Du matin au soir, du soir au matin, je me prodigue les maximes les plus fermes. Je me prends à part, je me raisonne… Je m’empêche de penser à rien… Je fais ce que je peux… et… me voilà !
Ce disant, il se leva, alla dans le fond de la chambre, et se jetant la figure dans un coussin, il sanglota amèrement.
Harriet se rappelait d’elle-même. Si l’histoire de ses sensations ne ressemblait pas absolument à ce qu’elle venait d’entendre, un point était pareil, la douleur. Elle la connaissait autant que Conrad ; elle avait souffert, bien