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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/266

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prenant très-bien ce qu’elle avait à faire, elle commença à suivre jour par jour, heure par heure, et, pour ainsi dire, pulsation par pulsation, tous les mouvements de la vie morale de son ami ; et celui-ci, qui jamais n’avait été expansif, ni confiant, qui avait toujours repoussé avec un orgueil assez farouche l’idée que le cœur gagnait à s’ouvrir et à déverser son trop-plein dans un autre cœur, Conrad éprouva, avec la joie la plus naïve, non-seulement un soulagement complet de ce qui retombait d’ordinaire de fatigue sur ses forces surmenées, il sentit que relevée, rafraîchie, soutenue, rassérénée, son âme augmentait l’envergure de ses ailes, et, pareille aux êtres mystérieux de l’Apocalypse, rapprochés du Saint des Saints, en ajoutait, aux deux qu’il avait déjà, de nouvelles, plus brillantes de couleur, plus palpitantes et plus fortes.

En peu de temps, Sophie put apprécier la valeur de son œuvre. Conrad, lui, était transfiguré. Ce n’était plus cet homme soupçonneux, susceptible, réservé, cassant, que d’abord elle avait connu ; ce n’était pas davantage cet amant triste, acrimonieux, qu’elle avait eu le temps d’entrevoir. Le bien qu’elle faisait lui apparut grand comme il l’était ; elle aima ce bien qui venait d’elle ; et l’homme qui le recevait et en profitait, elle l’aima de même. Elle n’en fut pas amoureuse ; son être moral était trop endolori par l’existence qu’elle avait menée jusqu’alors pour lui permettre une sensation si vivante, et on a vu que, dans ses pires écarts, elle avait toujours été au-dessus des fantaisies basses. Elle n’aimait donc pas Conrad dans le sens absolu du mot, mais elle commençait à s’attacher à lui, et elle le lui expliqua, et il ne se fit pas d’illusion, il fut triste, et préféra cette tristesse à toutes les joies, et Sophie, à cause de lui et par lui, en voie de se ré-