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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/284

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noyer dans l’amertume de ses pensées. Wilfrid n’avait plus de pensées ; il ne faisait plus d’efforts ; les flots de son cœur et de son esprit ne s’épanchaient plus en cascades tourmentées, en cataractes turbulentes, ils coulaient largement et doucement sur une pente unie. Il n’avait pas fait difficulté de raconter à Laudon l’histoire vraie de sa vie, le but qu’il avait en vue, et comment enfin, par la seule puissance de la patience soutenue et de la volonté, il était arrivé à ce qu’il souhaitait et avait conquis la main d’Harriet.

Ce récit n’avait pas laissé que de produire sur l’esprit de Louis une impression vive. Il se trouvait, lui aussi, hors de ses habitudes d’intelligence. Il considérait Nore comme un homme digne du nom d’homme, et avait été étonné de lui voir sacrifier, c’était l’expression qui rendait le mieux sa pensée, de lui voir sacrifier sa vie pour s’unir à une femme plus âgée que lui et qui n’allait pas apporter dans la vie commune l’appoint de fortune, de rang, de crédit extérieur que lui-même avait jusqu’alors dogmatiquement considéré comme la condition indispensable, comme la seule condition respectable du mariage.

S’il s’était agi de tout autre que de Wilfrid, il se serait dit purement et simplement : c’est de la folie, c’est une fantaisie, c’est une ruine étourdiment cherchée, étourdiment voulue et qui ne produira que des regrets et des remords ! Mais, à travers le long desséchement que son éducation et ses attaches ordinaires avaient pratiqué sur son caractère plus encore que sur son cœur, Laudon gardait un fond de sensibilité qui ne lui permettait pas de conclure ainsi pour quelqu’un qu’il estimait et qu’in petto il reconnaissait supérieur. Il trouva dans la situation à laquelle il assistait un sujet de réflexions telles que son esprit en fut vraiment modifié, et, sans qu’il s’en aperçût,