Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je dis donc que ce soir-là, dans le salon du prince Cambacérès, il fut adorable d’esprit et de gaieté. Lorsque, la foule s’étant retirée, il n’y eut plus autour de la cheminée qu’un petit nombre d’intimes, il se mit à raconter une foule d’aventures plus ou moins risquées avec un goût, un tact, un mordant qui lui valurent des applaudissements unanimes. Il était si heureux !

Dans la maison de la rue des Lombards, la sensation ne fut pas absolument la même. Lorsque la missive impériale avait été remise à M. Irnois, M. Irnois avait ressenti une profonde terreur. L’idée de paraître devant son souverain n’avait pas fait naître en lui ce sentiment d’orgueil qui gonfle aujourd’hui la poitrine de tout officier de la garde civique, enlevé pour la première fois au tonneau obscur où croupit son résiné, pour briller, astre nouveau, dans les régions lumineuses d’un bal de la cour.

M. Irnois était comme tous les gens à argent de ce temps-là ; il n’aimait pas le contact du pouvoir ; le mot gouvernement le faisait frissonner. Il ne voyait, dans les hommes dépositaires de l’autorité, que des ennemis nés de sa caisse, des harpies toujours en quête de spoliations. Il manqua tomber de son haut lorsqu’un gendarme lui remit le hatti-schérif qui le mandait au palais.

Il arriva pâle et la figure renversée dans son salon où bavardaient sa femme et ses belles-sœurs, et bien que ce fût chose assez rare chez lui que de parler de ses affaires ou de demander conseil, il se planta au milieu de l’aréopage féminin, et, tendant sa lettre d’un air désespéré, il s’écria :