Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/49

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extatique ne produisit donc aucune impression sur cette imagination perdue dans une autre sphère, et M. Irnois dut se passer, dans ses hautes préoccupations, des sollicitudes filiales. Du reste, il n’en sentit pas le vide ; il ne pouvait être exigeant, et il était d’ailleurs si absorbé, suspendu entre la crainte et l’espérance, écoutant, tour à tour, les conjectures de son conseil privé et les importantes communications de son tailleur, qu’il n’avait pas le temps de chercher à diviser ses pensées entre sa présentation à l’Empereur et la tranquillité trop complète de sa fille ; il lui eût été d’ailleurs impossible de rêver à la fois à deux choses différentes.

Enfin il arriva, ce grand jour où, aux yeux émerveillés de toute la maison, dont les locataires avertis s’étaient ameutés sur les différents paliers, M. Pierre-André Irnois franchit le seuil de sa porte en grand costume de cour, suivi du secrétaire intime qui, laquais ce jour-là, descendait l’escalier en se laissant glisser le long de la rampe pour arriver plus vite à la voiture de louage et ouvrir la portière.

M. Irnois, le riche capitaliste, était d’autant plus laid et disgracié de la nature en cette circonstance mémorable que sa toilette était plus somptueuse et étalait davantage la prétention de faire ressortir des avantages physiques. Je ne puis m’empêcher en courant de jeter un coup d’œil détracteur sur ces pauvres bas réduits à envelopper… ce qu’ils enveloppaient, sur cette pauvre culotte de casimir flottant en plis mal gracieux autour de ces cuisses qu’on devinait décharnées, sur ce corps maigre orné d’un jabot