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Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/63

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de loger sa femme aussi loin de lui qu’il voudrait, et même de la reléguer à la campagne, si le séjour dans un même hôtel venait à lui déplaire.

Le comte Cabarot avait à peu près terminé les réflexions que l’on vient de voir plus haut quand la porte s’ouvrit, et la tante Catherine reparut.

— “Voici Emmelina”, dit-elle, en reprenant sa chaise et son tricot.

En effet, derrière elle entra Jeanne, portant la jeune fille dans ses bras. Ce fut une scène singulière.

Au moment où l’on vit la vieille domestique et son vivant fardeau, la pauvre malade parut rouge comme une cerise, les yeux pleins d’une ivresse angélique, belle, très belle, tant elle avait d’émotion et d’amour répandus sur tous les traits. Mme Irnois avait bien fait de prévenir le comte, car le premier mot d’Emmelina fut de s’écrier :

— “Où est-il ? Où est-il ?”

Et elle étendait ses deux bras, et elle se penchait en avant avec une passion indicible.

— “Vrai Dieu ! se dit le comte Cabarot, elle est horrible cette malheureuse éclopée, et furieusement vive !”

Et comme il avait bien réfléchi ainsi qu’on l’a vu, et qu’il s’était cuirassé contre les dégoûts probables de l’aventure, il se précipita bravement au devant de sa fiancée et voulut lui prendre les mains pour les baiser avec autant de feu qu’il en était capable.

Mais Emmelina ne le regarda seulement pas, et retirant ses mains comme on fait à un importun, s’écria :

— “Où est-il donc ?”