Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/78

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Il y a un conte de La Fontaine dont je suis quasiment fâché d’introduire le titre jovial dans cette pudique et un peu mélancolique histoire ; mais il rend si bien, si justement ce que je veux expliquer, quoique dans un sens différent sans doute, que je n’ai pas le courage de me priver de son secours : “Comment l’esprit vient aux filles”.

Beaucoup de filles ont l’esprit allègre, avant que l’amour soit accouru pour lui délier les jambes. Emmelina, comme on sait, la pauvre enfant ! n’était pas de ce nombre, et même l’amour ne pouvait pas se vanter de lui donner de l’esprit. Il ne lui apprit ni la ruse ni la réflexion ; mais il lui découvrit, comme nous l’avons vu, le secret d’avoir une volonté, celui de désirer quelque chose, celui de trouver en elle-même un ardent plaisir. Non, ce ne fut pas de l’esprit que l’amour lui donna. Le cadeau du dieu fut-il meilleur, fut-il pire ? — Je laisse ce point à décider aux philosophes et aux femmes. — Il lui donna une âme.

Elle n’en avait point auparavant ; ou si l’on veut absolument me contredire, l’âme dont l’avait gratifiée la nature à sa naissance était si pesante, si engourdie, si bien liée dans les nœuds misérables d’une conformation imparfaite, que c’était tout comme si elle n’eût pas existé. Maintenant qu’Emmelina aimait, cette âme avait reçu le feu de vie, et s’était, non pas dressée debout, car il semblait que dans ce corps tortueux, la voûte fût trop surbaissée pour que l’âme pût s’y développer à son aise, mais elle s’était, en se repliant sur elle-même, donné une énergie et une ardeur tout extatique dont la puissance eût