Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/82

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immense, qu’en un élan passionné, son désir franchissait dix fois le jour, mais que sa volonté ne songeait pas, ne pouvait pas songer à détruire par les moyens matériels dont son pauvre esprit ne suffisait pas à lui révéler l’existence.

Quand on lui proposa de quitter la maison paternelle et d’aller vivre ailleurs avec un être différent de tous ceux qui l’entouraient, elle ne fit pas réflexion que cet être pouvait être différent aussi de celui dont elle était possédée. Comment aurait-elle pu imaginer cela ? J’ai dit que c’était son univers. N’est-il pas évident que la création pour elle ne comptait qu’une seule personne ? Les paroles de sa mère firent éclater dans son âme un cantique de béatitude, de bonheur infini ; elle ne supposa pas même qu’il lui fût possible, matériellement possible de changer d’existence sans commencer une autre vie qui eût pour but unique l’artisan. Lui faire comprendre le contraire, si on l’eût essayé, aurait été à ce moment impossible, oui impossible ! Et comment faire concevoir à cette folle qui n’avait qu’un flambeau mystique qu’elle était la fille d’un millionnaire, qu’un conseiller d’État recherchait sa main, que le chef d’un grand Empire disposait d’elle pour récompenser des services politiques, et qu’il lui fallait se préparer à devenir une grande dame ?

On aurait pu tenter cette explication, mais elle n’aurait eu d’autre succès que de frapper l’oreille inattentive d’Emmelina par un déluge de paroles aussi peu comprises les unes que les autres. Il ne fallait, pour faire entrer la réalité dans cette tête barricadée, rien moins que le contact