Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/84

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presque des expressions de l’ouvrier), passait son temps à voir ce qui se passait chez les voisins. Il s’en expliquait quelquefois dans ces termes avec sa bonne amie Francine, la petite lingère au pot de giroflées.

— “A-t-on de la chance, s’écriait-il, de pouvoir employer ainsi toute sa journée les bras croisés, dans un bon fauteuil, à ne rien faire et à regarder en l’air ! c’est, ma foi, une profession qui me conviendrait !”

Francine était femme, et ses idées plus vives arrivèrent plus près de la vérité.

— “Veux-tu que je te dise ? déclara-t-elle un jour à son amant, je suis sûre que Mlle Irnois en tient pour tes beaux yeux !”

— “Allons donc ! répondit l’ouvrier. Une bossue comme elle ! et qu’en outre on dit idiote ! Le diable m’enlève si j’en voudrais avec tous ses écus !”

Franchement il ne croyait pas à l’amour qu’il inspirait. M. Irnois était fort connu dans le quartier, et l’ouvrier nourrissait pour lui ce profond respect que l’argent ne mérite pas en général, mais obtient le plus souvent, et sans le demander. Aussi le petit tourneur se fût-il bien gardé d’offenser un homme aussi respectable et aussi puissant ; mais il ne fallait pas moins qu’une telle autorité pour l’empêcher de faire des niches à Emmelina. Quelquefois même, le turbulent garçon secoua le frein de la crainte jusqu’au point de chanter malicieusement, quand Emmelina le regardait trop longtemps, quelque chanson délurée dans le but de la faire retirer de la fenêtre. Mais, à sa grande surprise, ce moyen n’avait jamais réussi.