Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/96

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bon lieu, et plus que jamais l’ambassade qui lui était promise lui fut assurée.

Il allait tous les jours faire sa cour à sa future. Je l’ai déjà dit, il détestait les moyens violents et tout ce qui y ressemblait. Avec ses intimes, il ne se cachait plus de l’impression que lui produisait tout ce qu’il voyait chez sa chère belle-mère. Mais il faisait tout comme s’il eût été transporté d’aise, une fois qu’il se trouvait dans la maison de sa future.

Un soir surtout il en causa à cœur ouvert. C’était en petit comité, chez M. le baron R… Il était deux heures du matin ; on avait joué un jeu d’enfer, et, après souper, cette fine fleur des gens d’esprit de l’époque se délassait en faisant un doigt de conversation.

— “D’honneur ! s’écria un des convives, je ne conçois pas votre conduite, mon cher Cabarot. Car d’aller épouser la fille d’Irnois, étant ce qu’elle est, c’est déjà bien fou ! J’ai pris des informations en tapinois, et la pauvrette, m’a-t-on dit, serait plutôt bonne à mener à l’hôpital qu’à l’autel ! Mais, outre que vous l’épousez, vous y allez tous les jours ! C’est d’une patience dont je ne vous aurais jamais cru capable.”

Cabarot enfonça ses mains dans ses poches jusqu’aux coudes, et prenant un de ces airs que l’on appelle moitié figue moitié raisin, il se laissa aller à quelques menus propos qui ressemblaient assez à des confidences.

— “Eh ! dit-il, je mérite les compliments ! Il est certain que je ne manque pas de longanimité, et qu’il y a bien des moments où je suis tenté d’envoyer au diable ma future famille.”