Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/115

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ordre, un silence et une componction louables, Zemroud-Khanoum était une excellente femme. Elle était prompte à se fâcher, prompte à s’attendrir. Sa voix devenait, dans la colère, de beaucoup la plus aiguë du quartier ; mais il lui arrivait aussi d’en être la plus douce, quand elle se prenait à consoler quelqu’un. Elle était généreuse comme un Sultan, charitable comme un Prophète, et par-dessus le marché, ayant été extraordinairement jolie, il lui en restait encore quelque chose à quarante ans sonnés ; elle avait beaucoup d’esprit, faisait les vers d’une manière charmante, et jouait du târ avec une telle perfection, que son mari Aziz-Khan, lorsqu’elle daignait jouer pour lui, commençait à dodeliner de la tête pendant un quart d’heure, puis se mettait à murmurer : Excellent ! excellent ! excellent ! en extase, et finissait par pleurer et se cogner la tête contre la muraille.

Quand Amynèh entra dans le salon de sa belle-sœur, elle y trouva des visites, comme le lui avait indiqué d’ailleurs la présence de deux paires de pantoufles, toutes pareilles aux siennes, qui se trouvaient devant la porte. Les deux dames, assises à ce moment sur les coussins, n’étaient rien moins que Bubbul-Khanoum, madame le Rossignol, et Loulou-Khanoum, madame la Perle, l’une troisième femme du gouverneur, et l’autre seule et unique épouse du chef du clergé, le jeune et aimable Moulla-Sàdek, l’amateur le plus éclairé de pâtisseries qui se trouvât dans tout Damghàn. Ces dames étaient jolies l’une et l’autre, fort élégantes, et très-rieuses. Comme Zemroud-Khanoum, de son côté, n’était portée à la mélancolie que lorsqu’on l’y obligeait en la contrariant, la conversation allait bon train ; on parlait modes nouvelles, ajustements, santé des enfants, singularités des époux, emportements même de ces messieurs ; ce qui tient toujours une grande part dans les confidences féminines, comme étant le moyen le plus sûr de faire apprécier ses mérites si recherchés, et, enfin, les médisances, les médisances, les médisances ! ce sel, ce poivre, ce piment, ce nec plus ultra des délices sociaux ; bref, tout ce qui peut se dire et même, et surtout, ce qui pourrait se taire, tout allait bon