Aller au contenu

Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

c’était lui qui se sentait faiblir, faiblir, faiblir, et qui se prosternait. Il voulait la chasser ; mais qui était le maître en lui-même ? L’amour ou lui ? C’était l’amour ! et l’amour répétait sans se lasser :

— Amynèh !

Et tout, dans l’être entier du pauvre Kassem, recommençait et disait :

— Amynèh !

Et cette voix et ces voix suppliantes, irritées, volontaires, enfin toutes puissantes ne s’arrêtaient plus, et Kassem n’entendit plus rien en lui-même que ces seuls mots :

— Amynèh ! mon Amynèh !

Que faire ? Ce qu’il fit. Il tint bon et continua à marcher. Il allait devant lui ; il avait perdu tout son entrain, toute son exaltation, toutes ses espérances et même le goût de ses espérances, et il rongeait l’amertume d’un profond et irrémédiable chagrin. À chaque pas, il sentait qu’il s’éloignait, non de son bonheur, mais de la source de sa vie ; son existence était plus lourde, plus étouffée, plus pénible, plus combattue, moins précieuse, et donnait moins de désirs de la garder à celui qui la traînait. Il marchait, toutefois, le pauvre amant.

— Je ne peux pas retourner ; j’ai promis, j’ai fait vœu de rejoindre l’Indien. Comment ne pas savoir ses secrets ? Oh ! Amynèh ! mon Amynèh ! ma chère, ma bien-aimée Amynèh !

C’est grand dommage que les hommes, qui ont beaucoup d’imagination et de cœur, ne soient pas mis par la destinée à ce régime de ne vouloir qu’une seule chose à la fois. Comme tout irait bien pour eux ! Comme ils se donneraient libéralement, entièrement, sans réserve, sans scrupule et sans souci, à la passion unique qui les prendrait ! Malheureusement, le ciel leur impose toujours plusieurs tâches. Sans doute, parce qu’ils voient plus et mieux que les autres, ils ont laissé leurs pensées entrer en bien des endroits ; ils aiment ceci, ils aiment cela. Ils veulent, comme Kassem, posséder les secrets ineffables, et, comme lui, ils aiment une femme en même temps qu’ils aiment la science, et ne peuvent pas aimer avec modération, avec calme ; ce qui