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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/181

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jaculatoires, telles que sa piété, la situation de ses affaires personnelles et la disposition du moment les lui suggéraient.

Mais, au milieu du tapage, qui ne se ralentissait pas, si absorbé que fût le prince par ses exercices de dévotion, il n’était pas possible qu’il n’aperçût les deux faces blêmes remparées sous la protection du Saint, à l’intervention duquel lui-même avait recours. Le premier, Moussa-Riza, il le connaissait et ne se mêlait pas de son affaire ; le second lui était tout-à-fait nouveau ; sa jolie figure, sa pâleur, sa détresse évidente, sa jeunesse l’intéressèrent, et, quand il eut terminé, à son gré, ses prières, il demanda au gardien de la mosquée quel était cet homme et pour quelle cause il se tenait ainsi contre le tombeau de l’Imam.

Le gardien de la mosquée, de sa nature très-pitoyable, exposa au Roi l’aventure de Gambèr-Aly de la façon la plus propre à exciter sa commisération. Il y réussit sans peine, et La Haute Présence dit au pauvre diable :

— Allons, au nom de Dieu ! lève-toi et pars ! Il ne te sera rien fait !

C’en était assez, sans doute, et Gambèr-Aly aurait dû comprendre que, sous l’ombre de la protection souveraine, si miraculeusement étendue sur lui, il ne devait conserver désormais aucune appréhension. Mais il ne vit pas la lumière où elle était. Son esprit fut tellement troublé qu’il supposa les choses les plus absurdes. Il s’imagina que le Roi ne lui parlait ainsi que pour le faire sortir de l’asile, et que l’ordre était donné aux ghoulâms de l’égorger à la porte de la mosquée. Pourquoi, comment se persuada-t-il que son maître, lui-même, condescendrait à se faire le complice des parents de Kérym ? C’était une de ces folies qui naissent dans un cerveau malade. Au lieu de se jeter aux pieds de son sauveur, de le remercier, de le combler de bénédictions, ce qui lui aurait, par-dessus le marché, valu quelque généreuse aumône, il se mit à pousser des cris affreux, à invoquer le Prophète et tous les saints, et à déclarer qu’on pouvait le massacrer où l’on voulait, sur la place même, mais qu’il ne sortirait pas.

Le Roi eut la bonté de raisonner avec lui. Il chercha à le rassurer,