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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/184

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d’une calomnie inventée par le ferrash-bachi de son prince et Assad-Oullah le piskhedmèt ; les femmes, sur le bruit de la beauté remarquable du réfugié à Shah-Abdoulazym lui étaient toutes favorables et toutes aussi voulaient le voir, de sorte que, le troisième jour, dès l’aurore, des bandes de dames montées sur des ânes, d’autres montées sur des mules, quelques-unes à cheval avec des servantes et des domestiques, bref la population féminine en masse se mit en route pour la mosquée sainte, et si grande était la multitude que depuis la porte de la ville jusqu’au bourg, il n’y avait pas d’interruption dans la ligne indéfiniment longue des pèlerines. Ce monde eût bientôt fait de remplir la mosquée, on se foulait, on se pressait, on se montait les unes sur les autres pour avoir au moins le bonheur de contempler Gambèr-Aly ; on s’écriait ;

— Qu’il est beau ! Bénie soit sa mère ! Mon fils, mange ! Mon fils, bois ! Mon oncle chéri, ne le laisse pas mourir ! Oh ! mon frère adoré ! Veux-tu déchirer mon cœur ? Gambèr-Aly de mon âme ! Voilà des confitures ! Voilà du sucre ! Voilà du lait ! Voilà des gâteaux ! Parle-moi ! Ne regarde que moi ! Écoute-moi ! Personne ne te touchera ! Sur ma tête, sur mes yeux, sur la vie de mes enfants ! Qui oserait te regarder de travers, nous le mettrions en pièces !

Mais, à ces paroles rassurantes, Gambèr-Aly ne répondait pas un mot. Il était épuisé par les émotions et par la faim, et, en toute réalité, s’en allait doucement vers le passage du pont de Sirat, où les morts ont leur chemin.

Et pendant que les femmes, vieilles et jeunes, mariées et filles, se transportaient ainsi à Shahabdoulazym et que, tour à tour, ces flots de voiles bleus et de roubends ou tours de tête blancs, entraient et sortaient du lieu saint en poussant des soupirs, jetant des cris et se tordant les bras de chagrin pour la perte imminente du plus beau jeune homme qui eût jamais existé, on vit tout à coup, à la porte de la ville, les soldats de garde quitter leurs Kalyans, se mettre sur les pieds et saluer profondément. Un cavalier, deux trois cavaliers franchirent lestement le pont jeté sur le fossé ; derrière eux passa non