Aller au contenu

Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/187

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’un oriental ; mais une orientale ne se pique que d’exprimer le plus énergiquement possible ce qu’il lui plaît de dire.

Pour mettre fin à cette scène, le gardien de la mosquée prit la lettre de rémission, monta dans le membêr, ce qui veut dire la chaire, fit un petit préambule, lut le document, célébra en termes pompeux la charité, la vertu, la bonté et toutes les vertus cardinales et principales, immaculées et autres dont sont ornés les êtres voilés et purs que la langue ne doit pas nommer, ni même l’imagination contempler en rêve, et termina par une adjuration éloquente de laisser libre cours à l’exercice des susdites vertus et de la susdite charité, attendu que, si l’on ne prenait pas soin, et cela tout de suite, du pauvre Gambèr-Aly, sa vie n’allait pas se prolonger au-delà de quelques heures.

À une si lugubre conclusion, les sanglots éclatèrent de toutes parts. Plusieurs femmes commencèrent à se donner d’horribles coups de poing dans la poitrine en criant Hassan ! Hussein ! Ya Hassan ! Ya Hussein ! (invocation aux saints martyrs.) D’autres tombèrent en convulsions ; les plus rapprochées de la dame inconnue, précisément celles qui lui avaient déclaré leur intention bien précise de la déchirer avec les ongles et les dents, se mirent à embrasser le bas de son voile et la déclarèrent un ange descendu du ciel et, certainement, aussi remarquable par sa jeunesse et sa beauté que par la perfection de son cœur, et elles l’aidèrent à contenir Gambèr-Aly qui se débattait, mais qui fut pourtant transporté dans la voiture dont on ferma les stores. Ceci fait, les cavaliers remontèrent à cheval, les kaleskadjys fouettèrent leurs attelages, tournèrent bride, reprirent la route de Téhéran, et disparurent.

Le fils de Bibi-Djanèm s’était absolument évanoui dans la persuasion que c’en était fait, qu’il était pris, et qu’il allait être mis à mort. Affaibli outre mesure par l’état de son esprit et par le jeûne, la fièvre jet le délire s’emparèrent de lui, et il tomba fort malade. Dans les instants où la connaissance lui revenait il se croyait dans une prison. Pourtant l’aspect de la chambre où on l’avait transporté n’avait rien pour le confirmer dans ce triste sentiment. C’était une charmante