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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/189

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— Il ne tient absolument qu’à toi, mon fils, repartit la négresse, de faire en sorte qu’il en soit ainsi, et cela sans te chagriner d’aucune façon. En tous cas, et pour le moment, tu es certainement un personnage de condition, puisque te voilà nazyr, te voilà intendant en chef de la fortune et du domaine de Son Altesse Perwarèh-Khanoum (madame le Papillon) qui a depuis huit jours, reçu des bontés du Roi, le titre officiel de Lezzèl-Eddooulèh (les délices du pouvoir).

À ces mots, Gambèr-Aly se submergea dans les flots d’une telle extase, qu’il resta absolument sans pouls, sans souffle et sans parole.

La première fois qu’il parut dans la cour du palais, il trouva les domestiques rangés devant lui, d’après leurs grades hiérarchiques, bien entendu. Tous le saluèrent avec le plus profond respect et il les passa en revue, comme le comportaient les devoirs de sa charge. Il était vêtu d’un immense djubbèh ou manteau à manches, en drap blanc passementé de soie bariolée ; il avait dessous une robe en cachemire et tirait de temps en temps de sa poitrine, sans y mettre aucune affectation, un petit sac de satin brodé de perles, d’où il sortait une jolie montre, et il y regardait l’heure. Il avait des pantalons de soie rouge. Bref, il était habillé à sa parfaite satisfaction.

Quand il voulut aller se promener au bazar, on lui amena un charmant cheval harnaché à la façon des seigneurs de la Cour. Un des djélodars le soutint sous les bras afin qu’il se mît en selle et quatre ferrashs marchèrent devant lui, tandis que son kaliândjy portait sa pipe à son côté. Il fut reconnu dans les galeries, et un concert de bénédictions éclata sur son passage. Les femmes surtout l’accablèrent de compliments. À la vérité elles lui firent plusieurs questions assez indiscrètes qui le forcèrent à rougir et lui adressèrent des recommandations et des conseils dont il pensait n’avoir pas besoin. Mais, en somme, il fut enchanté de sa popularité. Il avait raison de l’être, ce qui prouve bien, soit dit en passant, pour faire plaisir aux gens qui veulent un sens moral à chaque histoire, que le vrai mérite finit toujours par obtenir sa récompense.

Tout doit porter à penser que Gambèr-Aly développa des qualités