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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/201

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plus que la paysannerie. Je m’étais fait chasseur. J’abattais les perdrix, les gélinottes, les francolins, j’allais chercher les gazelles et les chevreuils dans la montagne ; je tuais par ci par là un lièvre, mais j’y tenais peu, attendu que cet animal ayant la mauvaise habitude de se nourrir de cadavres, personne n’aime à en manger, et comme il est difficile de le vendre, tirer sur lui c’est de la poudre perdue. Peu à peu, j’étendis mes courses fort loin en descendant au milieu des forêts du Ghylàn ; j’appris des habiles tireurs de ce pays à ne jamais manquer mon coup, ce qui me donna comme à eux la confiance d’aller à l’affût du tigre et de la panthère. Ce sont de bons animaux et leurs peaux se vendent bien. J’aurais donc été un homme extrêmement content de son sort, m’amusant de mon métier et gagnant assez d’argent, ce que, naturellement, je ne disais ni à mon père ni à ma mère, si, tout-à-coup, je n’étais devenu amoureux, ce qui gâta tout. Dieu est le maître !

J’avais une petite cousine âgée de quatorze ans qui s’appelait Leïla. J’aimais beaucoup à la rencontrer et je la rencontrais fort souvent. Comme nous avions à nous dire une foule de choses et que nous n’aimions pas à être interrompus, nous avions fait choix d’une retraite précieuse sous les saules qui bordaient le ruisseau principal, à l’endroit le plus épais et nous restions là pendant des heures sans nous apercevoir de la longueur du temps. D’abord, j’étais très-heureux, mais je pensais tant et tant et tant à Leïla, que, lorsque je ne la voyais pas, je me sentais de l’impatience et de l’inquiétude, et je courais de côté et d’autre pour la trouver. C’est ainsi que je découvris un secret qui me précipita dans un abîme de chagrin ; je m’aperçus que je n’étais pas le seul à qui elle donnait des rendez-vous.

Elle était si candide, si gentille, si bonne, si tendre, que je ne la soupçonnai pas un seul instant d’infidélité. Cette pensée m’aurait fait mourir. Pourtant je fus bien fâché de trouver que d’autres pouvaient l’occuper, l’amuser, au moins la distraire, et, après m’être beaucoup demandé si je devais lui confier mon chagrin, ce qui m’humiliait, et être convenu qu’il ne fallait pas me plaindre, je lui dis tout.