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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/206

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insensible, comme cela devait être, puisque ses sortilèges n’agissaient plus sur moi ; alors, elle se fâcha, Kérym s’en mêla, il s’en suivit une dispute. Je ne sais pas trop ce que je dis ni ce que mon cousin me répondit, mais, tirant mon gama, je voulus lui en donner un bon coup à travers le corps. Il me prévint, et du sien qu’il avait levé, il me fit une entaille à la tête d’où le sang commença à couler abondamment. Aux cris affreux de Leïla, les voisins accoururent et avec eux, la police, de sorte que l’on mettait déjà la main sur le malheureux Kérym pour le conduire en prison, quand je m’écriai :

— En Dieu ! pour Dieu ! et par Dieu ! Ne le touchez pas ! C’est mon cousin, c’est le fils de ma tante ! C’est mon ami et la lumière de mes yeux ! mon sang lui est permis !

J’aimais beaucoup Kérym et infiniment plus que Leïla, et j’aurais été désolé qu’il lui arrivât malheur pour une méchante histoire, que nous étions bien libres, je pense, de débrouiller ensemble. Je parlais avec tant d’éloquence que, bien que le sang me ruisselât sur la figure, tout le monde finit par se calmer : on nous laissa seuls, Kérym banda ma blessure, ainsi que Leïla, nous nous embrassâmes tous les trois, je me couchai et je m’endormis.

Le lendemain, je fus mandé par le ketkhoda ou magistrat du quartier qui m’apprit que j’avais été enregistré parmi les hommes destinés à être soldats. J’aurais bien dû m’y attendre ou à quelque chose de semblable. Personne ne me connaissait à Zondjàn où j’étais étranger ; je n’y avais pas de protecteur. Comment ne serais-je pas tombé tout des premiers dans un trou pareil où chacun, naturellement, s’était empressé de me pousser, afin de s’exempter soi ou les siens ? Je voulus crier et faire des représentations ; mais, sans s’émouvoir autrement, le ketkhoda me fit attacher au fèlekeh. On me jeta sur le dos ; deux ferrashs, prenant les bouts du bâton me soutinrent les pieds en l’air, deux exécuteurs brandirent d’un air féroce, chacun une poignée de verges et ils administrèrent au bâton auquel j’étais attaché une volée de flagellations, parce que je leur avais, en tombant, glissé à chacun un sahabgrân dans la paume de la main.