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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/212

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plaine au soleil l’été, à la pluie l’hiver, pour quoi faire ? Pour lever et baisser les jambes, agiter les bras, tourner la tête à droite ou à gauche. Vallah ! Billah ! Tallah ! Il n’y a pas un d’entre eux qui soit capable d’expliquer à quoi ces absurdités peuvent servir ! J’avoue, quant à moi, que, lorsque je vois passer quelqu’un de ces gens-là, je me range, parce qu’on ne sait jamais quel accès de frénésie va les saisir. Heureusement le ciel, en les créant très-brutaux, les a fait au moins aussi bêtes, de sorte que, généralement, on leur peut persuader tout ce qu’on veut. Gloire à Dieu, qui a donné ce moyen de défense aux Musulmans !

Pour moi, j’ai vu tout de suite ce que c’étaient que les instructeurs européens et je m’en suis tenu le plus loin possible ; comme le vékyl, mon ami, avait eu soin de me recommander au sultan, je n’allais jamais à ce qu’on appelle l’exercice, et mon existence était fort supportable. Notre régiment était venu remplacer celui de Souleymanyèh, qu’on avait envoyé à Shiraz ; de sorte que j’appartenais à un détachement occupant un des postes dans le bazar. Ces chiens d’Européens, que Dieu maudisse ! prétendaient que, tous les jours, on devait relever les postes et renvoyer les hommes à la caserne. Ils ne savent qu’inventer pour tourmenter le pauvre soldat. Heureusement, le colonel ne se souciait pas d’être ennuyé et dérangé constamment, de sorte, qu’une fois dans un corps de garde, on s’y établit, on y prend ses aises et on s’y loge, non pas pour vingt-quatre heures, mais pour deux ou trois ans, quelquefois, enfin, pour le temps que le régiment tient garnison dans la ville.

Notre poste était assez agréable. Il tenait le coin de deux avenues du bazar. C’était un bâtiment composé d’une chambre pour le nayb et d’une vaste salle pour les soldats. Il n’y avait pas de fenêtres, mais seulement une porte qui donnait sur une galerie en bois, longeant la rue, et le tout était élevé de terre de trois pieds. Aux environs de notre édifice beaucoup de boutiques nous présentaient leurs séductions. D’abord, c’était un marchand de fruits, qui avait ses raisins, ses melons et ses pastèques étalés en pyramides ou dessinant