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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/221

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les grands-pères de ces horribles assassins brûler éternellement dans le plus profond de l’enfer et ne jamais trouver de soulagement ! Inshallah ! Inshâllah ! Inshallah !

Nous commençâmes donc à manger les ânes. Les malheureux ! j’ai oublié de vous dire qu’il n’en restait pas beaucoup. N’ayant rien à recevoir eux-mêmes, ils avaient pris le parti de mourir successivement et leur cadavres marquaient notre route. Le peu que nous en gardions avec infiniment de peine était mal sustenté ; nous avions, en arrivant à chaque station, la peine d’aller chercher de l’herbe pour eux encore loin dans les montagnes. Ils étaient d’ailleurs épuisés de fatigue. Je sais bien que nous avions commencé à les décharger assez tôt de nos fusils et de nos fourniments que nous jetions dans le désert ; mais nous avions tenu le plus longtemps possible à conserver nos bagages. Bref, il fallut nous mettre nous-mêmes sur le dos, ce que nous considérions comme le plus précieux. Ce qui était terrible, c’est que l’eau manquait. Il fallait passer plus de la moitié du jour à faire des trous dans la terre pour en découvrir un peu. Quand nous étions le plus favorisés, nous réussissions à mettre au jour une boue saumâtre, qu’on clarifiait du mieux possible à travers des chiffons. Nous finîmes par n’avoir plus que de l’herbe à manger, un peu d’herbe. Beaucoup de nos camarades firent comme nos ânes ; ils moururent. Cela ne nous empêchait pas de chanter ; car s’il fallait se désespérer des maux inséparables de la vie, mieux vaudrait n’être pas au monde, et, d’ailleurs, avec de la patience, tout s’accommode. La preuve en est que les restes du régiment parvinrent à gagner Meshhed.

En vérité, nous n’avions pas une grande mine, quand nous entrâmes dans la ville Sainte. Le major était venu au-devant de nous avec quelques capitaines et un certain nombre de marchands de toutes sortes de victuailles. Nous payâmes assez cher ce qu’ils nous donnèrent ; nous avions si faim que nous n’eûmes pas la peine de trop marchander. On ignore, quand on n’a pas éprouvé de telles traverses, on ignore ce que c’est que de contempler tout à coup, de ses deux yeux, une tête de mouton bouillie qui vous est offerte. Le bon repas