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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/225

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des fusils, ou, du moins, des instruments qui ressemblaient à des fusils. J’en parlerai plus tard. Quand nous fûmes à peu près équipés, nous apprîmes un beau matin, que l’ordre du départ était donné et que le régiment allait se mettre en route pour Merw. Je ne fus pas trop content. C’était aller, cette fois, au milieu des hordes turkomanes, et Dieu sait ce qui pouvait arriver ! Je passai une soirée fort triste avec Moulla-Souleyman ; il tâcha de me consoler de son mieux, le brave homme, et me versa force thé bien sucré ; nous bûmes aussi un peu de raky. Il revint sur l’histoire de Leïla et me fit raconter les circonstances de la mort de cette pauvre enfant pour la dixième fois, peut-être. J’eus quelque idée de le détromper, mais puisque j’avais tant fait que de lui raconter les choses d’une façon, il me parut plus naturel de continuer et de ne pas le jeter dans de nouvelles perplexités. Le pauvre ami ! Il avait été si bon pour moi, que je me fis un plaisir mélancolique, dans la disposition où j’étais, de me rappeler de nombreux détails où, cette fois, je mêlai des souvenirs qui m’avaient échappé jusque là, et d’où il résultait que, avant d’expirer, la chère enfant que nous regrettions tous les deux, s’était souvenue de lui avec beaucoup d’affection. Je ne peux pas prétendre tout à fait que mes récits fussent mensongers ; car j’avais tant besoin de m’attendrir sur moi et sur les autres qu’il m’était tout à fait aisé de parler de choses tristes et touchantes, et, vraiment, je puis affirmer que je le faisais d’abondance de cœur. Souleyman et moi nous mêlâmes encore nos larmes, et, quand je le quittai vers le matin, je lui jurai du plus profond de mon cœur de ne jamais l’oublier, et on voit que j’ai tenu parole. Il m’embrassa, de son côté, avec une véritable affection. Je rejoignis alors mes camarades : le régiment se mit en marche, et moi, avec lui, dans les rangs, à côté de mon vékyl.

Nous étions fort nombreux. Je vis passer de la cavalerie ; c’étaient des hommes des tribus du sud et de l’ouest. Ils avaient assez bonne mine, meilleure que nous ; mais leurs chevaux mal nourris ne valaient pas grand chose. Les généraux étaient restés à Meshhed. Il paraît que c’est absolument nécessaire ainsi ; parce que de loin on dirige