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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/227

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J’allais faire de même, quand le vékyl, m’arrêtant par le bras, cria dans mon oreille au milieu du tapage :

— Tiens bon, Aga-Beg ! Ceux qui fuient aujourd’hui sont des gens perdus !

Il avait raison, tout à fait raison, le brave vékyl, et mes yeux m’en portèrent immédiatement le témoignage. Je vis, comme je vous vois, cette masse de cavalerie, dont je viens de parler, se diviser, comme par enchantement, en des myriades de pelotons, qui, courant à travers la plaine et évitant les obstacles avec l’habileté de gens au fait du pays, tournaient, enveloppaient, saisissaient les fuyards et les accablant de coups, prenaient leurs armes et faisaient des centaines de prisonniers.

— Vous voyez ! vous voyez, mes enfants ! s’écria de nouveau le vékyl, voilà le sort qui vous attend, qui nous attend, si nous ne savons pas nous tenir ensemble ! Allons ! Courage ! Ferme ! Feu !

Nous étions là une cinquantaine à peu près. Le spectacle effrayant étalé sous nos regards donna une telle force aux exhortations du sergent, que, lorsqu’un gros de ces pillards maudits s’avança vers nous, notre troupe se pelotonna rapidement et nous fîmes feu en effet, et nous rechargeâmes, et nous fîmes feu une seconde fois, et une troisième fois, et une quatrième fois. Par les saints Imams ! nous vîmes tomber quelques-uns de ces hérétiques, de ces chiens maudits, de ces partisans d’Aboubeckr, d’Omar et d’Osman ; puissent ces monstres brûler éternellement dans l’enfer ! nous les vîmes tomber, vous dis-je, et cela nous donna un tel entrain que, sur le commandement du vékyl et sans nous disjoindre, nous partîmes d’un mouvement en avant, pour aller chercher cet ennemi qui s’était arrêté et ne venait pas à nous. Après un moment d’hésitation, il recula et s’enfuit. Pendant ce temps, les autres bandes turkomanes continuaient à donner la chasse aux fuyards, a les ramasser, à en tuer quelques-uns, à battre les autres, à emmener ce qui pouvait marcher. Nous poussâmes des cris de triomphe : Allah ! Allah ! ya Aly ! ya Hassan ! ya Houssein ! Nous étions au comble de la joie ; nous étions délivrés et nous n’avions peur de rien.