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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/234

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tandis que nous marchions, nous causions avec nos maîtres qui nous parurent de braves gens ; de temps en temps, à la vérité, quelqu’un de nous recevait un bon coup de fouet, mais c’était parce qu’il ne marchait pas assez vite : du reste, tout se passa très-bien sauf que, pour des gens aussi fatigués que nous l’étions, ce fut un peu dur d’avoir à faire un trajet de huit heures, à travers les terres épaisses, avant que d’avoir atteint le campement vers lequel on nous menait.

Les femmes et les enfants étaient venus à notre rencontre. Ce fut le moment le plus difficile à passer. Il paraît que, dans cette foule, il y avait des veuves de quelques jours, dont nous avions tué les maris et des mères qui étaient fâchées de ce que nous avions fait à leurs fils. Les femmes sont méchantes dans tous les pays du monde ; celles-là étaient atroces. Le moins qu’elles auraient voulu nous faire eût été de nous déchirer avec leurs ongles, si on les en eût laissées libres. Les enfants ne demandaient pas mieux que de nous traiter aussi mal, et, pour débuter, ils nous accueillirent par des hurlements et une volée de pierres. Par bonheur, les hommes ne se montrèrent pas du tout disposés à nous laisser abîmer et moitié grondant, moitié riant, donnant aussi çà et là quelques horions à ces furies, ils réussirent à nous introduire dans le camp et à mettre nos ennemis et leurs petits auxiliaires, sinon hors d’état de nous injurier, ce qui ne nous causait aucun mal, du moins hors de portée de nous mettre en sang. Quand nous fûmes tous rassemblés sur la place, on nous compta, et on nous avertit que ceux qui chercheraient à s’enfuir seraient tués aussitôt. Après cette déclaration, on nous distribua entre les différents cavaliers qui nous avaient pris, et dont nous devînmes les esclaves. Tel acquit ainsi dix prisonniers, tel autre cinq et celui-ci deux. Pour moi, je fus adjugé à un garçon encore très-jeune, qui m’emmena aussitôt chez lui.

Mon maître n’était pas pauvre ; je m’en aperçus en entrant sous sa tente. Cette tente était de l’espèce de celle que l’on nomme alatjyk, faite avec des cloisons et des murs d’osier tressé, recouverts de feutres épais ; le plancher était en bois avec des tapis ; il y avait trois ou quatre