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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/244

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Nous recueillions ainsi force menue monnaie et quelquefois des pièces d’argent. D’ailleurs, certains d’entre nous étaient plus chanceux que les autres.

On sait que nos régiments sont recrutés parmi les pauvres, qui, n’ayant ni amis, ni protecteurs, ne peuvent se soustraire à la vie militaire. Quand on veut des soldats, on ramasse dans les rues et dans les cabarets des villes, et dans les maisons des villages, ce qui ne peut pas se faire réclamer. Ainsi, nous étions là, à notre chaîne, des hommes faits, des enfants de quinze ans et des vieillards de soixante et dix, parce que, quand on est soldat, c’est pour toute sa vie, à moins qu’on ne trouve moyen de se faire exempter ou de s’enfuir.

Ceux qui parmi nous recevaient le plus d’aumônes, c’étaient les plus jeunes. Il y en avait un, joli garçon de seize ans, né à Zendjân, qui fut délivré au bout de quinze jours tant on le comblait de toutes parts. Il est vrai qu’il avait la figure d’un ange. Pour moi, je réussis à faire prévenir Moulla Souleyman de mon triste sort. Le brave homme accourut, se jeta à mon cou, et, au nom de notre chère Leïla, il me donna un toman. C’était beaucoup. Je le remerciai fort. Peut-être en aurais-je obtenu davantage ; mais, le lendemain, on nous fit partir de Meshhed pour nous diriger sur Téhéran.

Mes camarades et moi, nous fîmes une chanson qui racontait nos malheurs, et nous en régalions les paysans le long de la route. Cela nous valait toujours quelque peu. D’ailleurs, la charité des Musulmans nourrissait les pauvres captifs mieux qu’elle ne l’avait fait jadis pour les soldats du Roi, et nos gardiens en profitaient comme nous. Seulement, il fallait que chacun de nous prît bien garde à ses petites recettes, car soit nous-mêmes, soit nos soldats, nous ne pensions naturellement qu’à nous emparer de ce qui n’était pas à nous. Pour moi, je tenais mon argent serré dans un morceau de coton bleu ; je ne le montrais à personne et l’avais attaché sous mes habits, par une corde. Quand nous arrivâmes dans la capitale, je peux bien avouer maintenant que je possédais, avec le toman en or que m’avait donné mon cousin, quelques sahabgrans en argent et force shahys de cuivre,