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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/260

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père, ne put contenir son indignation, et n’osant s’en prendre directement à son oncle, il appliqua un vigoureux soufflet au plus jeune de ses cousins, Elèm. Cet accident était d’autant plus à regretter, que jusqu’alors Mohsèn et Elèm avaient éprouvé l’un pour l’autre l’affection la plus vive ; ils ne se quittaient pour ainsi dire pas et c’était, entre ces deux enfants, que se tramaient perpétuellement les rêves de vengeance, qui devaient rendre à leur famille l’éclat d’honneur obscurci par les Mouradzyys d’une façon si déplorable.

Elèm, exaspéré de l’action de son cousin, avait tiré le poignard et fait un mouvement pour se jeter sur lui ; mais les vieillards s’étaient à temps interposés et avaient séparé les champions. Le lendemain une balle venait se loger dans la manche droite des vêtements de Mohsèn. Personne ne s’y trompa ; cette balle sortait du fusil d’Elèm. Six mois se passèrent, et un calme menaçant planait sur les deux habitations qui se touchaient et d’où on se surveillait mutuellement. Les femmes seules avaient encore quelquefois des rencontres ; elles s’injuriaient ; les hommes paraissaient s’éviter. Mohsèn, depuis huit jours, avait résolu de pénétrer chez son oncle et de tuer Elèm ; ses mesures étaient prises en conséquence. Tel était le deuxième dessein qu’il voulait mettre à exécution. Quant à sa troisième idée, la voici. Après avoir tué Elèm et Abdallah-Mouradzyy, il irait se présenter au prince de Kandahar et le sommerait de lui donner un emploi parmi ses cavaliers. Il ne doutait pas qu’un guerrier, tel qu’il allait se faire connaître, ne fût traité avec respect et reçu d’acclamation.

Ce serait, toutefois, lui faire tort que de supposer à la double action, dont son âme était si fortement occupée, un motif d’intérêt vénal. On se tromperait encore, si l’on pensait que mettre à mort son cousin Elèm lui paraissait une action simple et ne lui coûtait pas. Il avait aimé, il aimait encore son compagnon d’enfance ; vingt fois dans chaque vingt-quatre heures, quand sa pensée, courant après ses rêves, en heurtait quelqu’un de plus brillant que les autres, il lui passait comme une flamme devant l’esprit ; c’était l’image d’Elèm et il se disait : Je le lui raconterai ! Qu’en pensera-t-il ? Puis soudain, il se