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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/264

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la maison de son oncle, il entra. Derrière lui, il repoussa les battants, il les assujettit avec la barre, il tourna la clef dans la serrure. Il ne voulait pas être surpris ni empêché. Quelle honte, s’il eût manqué sa première entreprise !

Il traversa le corridor sombre conduisant dans la cour étroite et cette cour, elle-même, en sautant pardessus le bassin, qui en marquait le centre. Puis il monta trois degrés, se dirigeant vers la chambre, d’Elèm. Tout à coup il se trouva face à face avec sa cousine, qui, debout au milieu du corridor, lui barrait le passage. Elle avait quinze ans et on l’appelait Djemylèh, « la Charmante ».

— Le salut soit sur toi, fils de mon oncle ! lui dit-elle, tu viens pour tuer Elèm !

Mohsèn eut un éblouissement et ses yeux se troublèrent. Depuis cinq ans, il n’avait pas vu sa cousine. Comme l’enfant, devenue femme, était changée ! Elle se tenait devant lui dans toute la perfection d’une beauté qu’il n’avait imaginée jamais, ravissante par elle-même, adorable dans sa robe de gaze rouge à fleurs d’or, ses beaux cheveux entourés, il ne savait comment, dans des voiles bleus, transparents, brodés d’argent, éclairés d’une rose. Son cœur battit, son âme s’enivra, il ne put répondre un seul mot. Elle, d’une voix claire, pénétrante, douce, irrésistible, continua :

— Ne le tue pas ! c’est mon favori ; c’est celui de mes frères que j’aime le plus. Je t’aime aussi ; je t’aime davantage, prends-moi pour ta rançon ! Prends-moi, fils de mon oncle, je serai ta femme, je te suivrai, je deviendrai tienne, me veux-tu ?

Elle s’inclina doucement vers lui. Il perdit la tête : sans comprendre ce qui arrivait, ni ce qu’il faisait, il tomba sur les genoux, et contempla avec ravissement l’apparition adorable qui se penchait sur lui. Le ciel s’ouvrait à ses yeux. Il n’avait jamais songé à rien de semblable. Il regardait, il regardait, il était heureux, il souffrait, il ne pensait pas, il sentait, il aimait, et, comme il était absolument perdu dans cette contemplation infinie et muette, Djemylèh, d’un geste charmant, se renversant un peu en arrière, s’appuyant contre