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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/271

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reproche. Maintenant tout s’expliquait. La malheureuse aimait son cousin, et ce qui était horrible à penser, elle venait de pousser l’égarement au point de trahir sa famille, son père, sa mère, ses frères, leurs aversions, leur haine, pour se précipiter, à travers les lambeaux de sa réputation, dans les bras d’un misérable ! Jamais Osman n’avait rêvé qu’un si sanglant outrage eût pu l’atteindre. Il restait comme anéanti sur la place où le son des voix, une imperceptible vibration de l’air, venait de lui asséner un coup, de lui ouvrir une blessure plus cruelle et plus douloureuse que jamais plomb ni acier n’auraient pu faire.

Dans les premiers instants, le mal fut si intense, la souffrance si poignante, l’humiliation si complète, si profonde, qu’il ne songeait même pas à ce qu’il lui fallait décider. Il n’apercevait pas l’idée d’une revanche. Mais cette atonie dura peu. Le sang reprit son cours, la tête se dégagea, le cœur recommença à battre, il eut une conception rapide, se secoua, rentra chez lui. Il dit à sa femme et à ses fils :

— Djemylèh est un monstre. Elle aime Mohsèn et s’est enfuie chez ce chien de Mohammed. Je viens d’entendre sa voix dans la cour de ces gens là. Toi, Kérym, avec trois de mes hommes, tu iras frapper à la porte de ces bandits : tu leur diras que tu veux ta sœur à l’instant. Tu feras beaucoup de bruit, et, comme ils parlementeront, tu les écouteras, tu répondras, tu laisseras traîner les choses en longueur. Toi, Serbâz, et toi, Elèm, avec nos cinq autres soldats, vous prendrez des pioches et des pelles et me suivrez. Nous attaquerons sans bruit, le mur de ces infâmes du côté de la ruelle, et, quand nous aurons pratiqué un trou suffisant, nous entrerons. Maintenant, écoutez-moi bien et ce que je vais vous dire, répétez-le à vos hommes et forcez-les d’obéir. Dans cette encoignure, ici, à la tête de mon lit, vous la voyez ? demain matin, j’aurai trois têtes : celle de Mohammed, celle de Mohsèn, celle de Djemylèh ! Maintenant, au nom de Dieu, à l’ouvrage !

Les habitants de la maison de Mohammed avaient à peine achevé leurs préparatifs de défense, que l’on frappa à leur porte.

— C’est le début ! murmura le chef de la famille. Il se plaça à la tête des siens, dans le corridor conduisant à l’entrée du logis. Derrière