Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/29

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d’Iméréthie se trouve à Poti, allant rejoindre son corps à Bakou. Cet officier, c’est vous-même. Comme camarade, je viens me mettre à votre disposition. Je fais la même route que vous. S’il vous plaît, nous voyagerons ensemble, et, pour commencer, je sollicite l’honneur de vous offrir un verre de champagne au grand hôtel de Colchide que vous apercevez là-bas. D’ailleurs, si je ne me trompe, l’heure du dîner n’est pas loin, j’ai invité quelques amis et vous ne me refuserez pas le plaisir de vous les présenter.

Tout cela fut dit de bonne grâce, avec cet air sémillant, dont les Russes ont hérité depuis que les Français, qui passent pour l’avoir inventé, l’ont perdu.

L’exilé espagnol accepta la main du nouveau venu, et lui répondit :

— Monsieur, je m’appelle Juan Moreno.

— Moi, monsieur, je m’appelle Assanoff, c’est-à-dire je m’appelle en réalité Mourad, fils de Hassan-Khan ; je suis Russe, c’est-à-dire Tatare de la province de Shyrcoan et musulman, pour vous servir, c’est-à-dire à la façon dont aurait pu l’être M. de Voltaire, grand homme ! et dont je lis avec plaisir les ouvrages, quand je n’ai pas sous la main ceux de M. Paul de Kock.

Là-dessus, Assanoff passant son bras sous celui de Moreno, l’entraîna vers la place en face du fleuve, où s’apercevait d’assez loin une grande maison basse, longue baraque, au fronton de laquelle on lisait en lettres blanches sur une planche bleu de ciel : Grand Hôtel de Colchide, tenu par Jules Marron (aîné) ; le tout en français.

À leur entrée dans la salle de l’hôtel où le couvert était mis, les deux officiers trouvèrent leurs convives déjà réunis, buvant à petits coups de l’eau-de-vie de grains, et mangeant du caviar et du poisson sec dans le but d’irriter leur appétit. De ces convives quelques-uns méritent tout au plus d’être mentionnés : deux commis français dont l’un venait au Caucase pour acheter de la graine de vers à soie, et l’autre pour se procurer des loupes d’arbres ; un Hongrois, voyageur taciturne ; un passementier saxon allant en Perse chercher fortune.

Ce ne sont là que des comparses étrangers à notre histoire. Nous