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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/316

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au moins aussi bien que Valerio, peut-être avec plus de délicatesse encore, et elle était avide d’explications. Rien ne lui échappait ; les nouveautés la frappaient et la jetaient dans des contes où son imagination s’enfonçait sans s’arrêter. Un palikare, qui montait à bord se balançant sur les hanches de cet air arrogant et vainqueur particulier aux Albanais, suffisait pour transporter son esprit dans ces montagnes Acrocérauniennes dent son mari lui racontait, à ce propos, les pittoresques horreurs. Les vagues céruléennes qui se poussaient doucement l’une l’autre entraînaient ses pensées vers les côtes inaperçues de cette Afrique pleine de sables, de lions, de violences des hommes associés aux violences de la nature, et ce semis de pierreries, d’améthistes, de topazes, de tourmalines, de rubis, qu’on nomme l’Archipel, jeté là au milieu des saphirs de la mer, lui faisait comprendre comment les peuples antiques, à l’époque de tant de splendeurs, de tant de merveilles constamment vivantes, variables, séduisantes, avaient reçu dans leurs âmes la persuasion profonde que les Dieux étaient là, présents, que les rayons du soleil étaient la chevelure même du divin cocher Apollon, que l’Aurore pétrissait de ses doigts roses le firmament joyeux, et que la Nuit sacrée enveloppait en souriant dans ses voiles, sans songer à les éteindre, et voulant à peine les cacher, les étincelles de feu allumées au front d’Andromède, de Callisto et des Jumeaux homériques, cavaliers sublimes, protecteurs des navires.

Quand Lucie, appuyée sur le bras de Valerio, contempla du bord, par un temps magnifique, cette pointe de rochers bleuâtres sur laquelle s’élèvent les colonnes blanches du temple de Sunium, elle eut une sorte d’éblouissement. La grâce, la majesté, l’éternelle jeunesse lui apparurent à la fois dans ces restes mutilés, et toujours debout, de ce temple qui a vu Platon s’asseoir et enseigner à son ombre.

Une opinion du Dante, acceptée par l’Ordre de Saint-Dominique, enseigne que la damnation des hommes consistera en ceci, qu’ils obtiendront avec surcroît ce qu’ils ont aimé dans cette existence terrestre, ce qu’ils ont cherché, ce qu’ils ont voulu. Mis ainsi en possession