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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/318

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l’âme, et c’est pourquoi les scènes les plus éblouissantes du Nouveau-Monde ne sauraient jamais égaler les moindres aspects de l’ancien.

Valerio avait emporté de Naples une lettre d’introduction pour un des ambassadeurs représentant d’une grande puissance. Le comte de P. le reçut à merveille et comprit d’abord à quel tempérament fin, pénétrant, impressionnable et rare il avait à faire. Lui-même était un de ces tempéraments. Il avait beaucoup vu, beaucoup éprouvé, beaucoup appris ; tout retenu. Sa mémoire et son cœur conservaient les vibrations persistantes des émotions anciennes, ce qui n’est pas un don commun. En un mot, à travers les émoussements des grandes affaires, il était demeuré capable de s’enthousiasmer pour quelqu’un ou pour quelque chose.

Le jeune ménage le charma. Ces deux hirondelles voyageuses, qui n’avaient plus d’abri et passaient effarées à travers le monde, lui inspirèrent de la sympathie. Il s’occupa de leurs intérêts, et, un matin, arrivant chez ses protégés, il leur prit la main à l’un et à l’autre, et leur tint le langage que voici  :

— Votre sort me paraît fixé pour le moment. Sachez que les derniers restes de générosité et de chevalerie, si bien éteints en Europe, subsistent encore ici dans l’âme de quelques Turcs de vieille roche. Bien entendu je vous parle de ces Ottomans qui ont connu les janissaires. Grâce à mes amis de cette sorte, on vous confie, Valerio, sur les frontières orientales de l’Empire, une mission très-indéfinie. Ceux qui vous envoient ne savent pas ce que vous aurez à faire et ne se soucient guère de l’apprendre. Ce qui leur importe, c’est que vous entriez au service de la Sublime-Porte. Vous examinerez les forêts, les mines, les lieux où l’on pourrait tracer des routes que, en tout cas, on ne tracera jamais, et vous en direz votre avis, si cela vous agrée. Allez ! Vous êtes recommandé à tous les gouverneurs de l’Empire. Quand vous reviendrez, on vous donnera un emploi qui vous fera peut-être entrer dans ce que le langage moderne appelle superbement « la vie pratique, » c’est-à-dire dans toutes les platitudes, les niaiseries, les lâchetés de l’existence actuelle. Encore une fois, allez,