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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/327

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— C’est ce qui arrivera certainement avant qu’il soit deux jours, répondit le muletier, si vous gardez votre bourse par devers vous. Donnez-la moi. Je paierai vos dépenses en route, et je vous tiendrai compte du surplus, quand nous serons arrivés à notre destination.

Valerio n’avait voulu que provoquer cette offre, et il s’empressa de remettre ce qu’il possédait entre les mains de Kerbelay-Houssein. Celui-ci compta et recompta l’argent et le mit dans un coffre sans donner le moindre reçu, comme c’est l’usage. Il en fit lui-même la remarque, et dit en souriant à Valerio  :

— Je suis allé une fois jusqu’à Trébizonde et deux autres fois je suis allé à Smyrne. Il paraît que vous autres Européens, vous êtes de grands voleurs, car vos négociants se demandent constamment des gages les uns aux autres. Mais vous comprenez que, si les muletiers n’étaient pas des gens d’honneur et qui n’ont aucunement besoin d’attester sans cesse leur probité, le commerce ne serait tout simplement pas possible. En ce moment, voyez  ! Un grand marchand de Téhéran compte sur moi. Il m’avait remis, il y a un an, quatre-vingt mille tomans pour lui rapporter des étoffes de laine et de coton, des porcelaines, des cristaux, des soieries et des velours, que j’ai dû faire demander à Constantinople. J’ai dépensé soixante mille tomans et je lui rapporte le reste. J’ai mon frère qui mène une caravane de Bagdad à Shyraz, de Shyraz à Yezd, et de Yezd à Kerman. Il a eu dernièrement, pour cent mille tomans, une commande de châles destinés à un négociant du Caire. Il a dépensé cent cinquante mille tomans que, sur sa parole, on lui a parfaitement payés. Si, nous autres muletiers, nous donnions prise au moindre doute, je vous le répète, qu’est-ce que le commerce deviendrait  ! Certes, effendum, il faut grandement remercier Dieu très-haut et très-miséricordieux, parce que, ayant créé tous les hommes voleurs, il n’a pas voulu permettre que les muletiers le fussent  !

Là-dessus, Kerbelay-Houssein se mit à rire, et, comme on lui apporta son thé, il en offrit une tasse à Valerio qui accepta.

— Maintenant, poursuivit le brave homme, vous m’avez adressé