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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/336

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en Perse, dans le pays des Turcomans et dans l’Inde, pour la plus grande gloire de Dieu et le triomphe de la Religion. »

Valerio regarda ça et là, il ne lut absolument rien qui eût trait aux pays visités par l’auteur ; tout consistait en une série d’anecdotes relatant d’innombrables occasions, où la vertu de madame Cabarra avait couru les plus grands périls, et d’où elle était sortie pure comme cristal et absolument triomphante. À dater de ce moment, une personne si respectable s’attacha à Lucie et à Valerio, et, moyennant un petit salaire, se chargea de faire leur cuisine.

Au bout de quelques jours, Valerio découvrait encore dans le camp un autre Européen. Celui-ci était un tout jeune homme, venant de Neuchâtel, en Suisse. Il s’était épris de l’Orient sur la lecture des livres des voyageurs et faisait des vers. Il voulait, disait-il, s’inspirer aux sources même de l’exaltation et du sublime, et son idéal était la Lalla-Rookh de Thomas Moore. Ce que Valerio pensa de lui, c’est qu’il était à moitié fou. Les vers que le jeune enthousiaste lui montra à la première rencontre lui parurent détestables. Le pauvre garçon ne savait pas grand chose. Il portait de grands cheveux, une ceinture de soie rouge, une épée croisée comme les chevaliers d’autrefois, des bottes fortes avec des éperons dorés et une plume à son chapeau. D’ailleurs, son argent de route était exigu, et, pour le ménager, il faisait comme madame Cabarra ; il mangeait avec les muletiers, et couchait sur leurs couvertures. Il était maigre, pâle, débile ; sa poitrine était atteinte. Avant d’arriver à la frontière persane, il mourut, et un médecin sanitaire de la quarantaine, ancien étudiant saxon, le fit enterrer et plaça sur sa tombe une pierre où, lui-même, il grava le nom de la victime et une lyre au-dessus. Ce fut, sans doute, une consolation pour l’âme errante de celui qui n’aurait jamais su se servir de cet instrument. Il paraît qu’il ne suffit pas d’avoir la tête montée et une témérité aveugle pour tirer parti des choses. L’aspect de cet infortuné personnage qui, sauf son erreur, aurait pu faire, peut-être, à la Chaux-de-Fonds ou à Moûtiers, un clerc d’avoué très-convenable, remplit de tristesse le cœur de Lucie. Mais il n’y avait