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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/350

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et de Manghishlak. Tel d’entre eux voyage pour vendre et acheter, mais tel autre est un mandataire de la communauté de Jérusalem. Il va recueillir et rapporter aux habitants de la cité sainte les aumônes des fidèles. Il pénètre partout pour recueillir sa moisson. Si, cette année, il va à Téhéran, l’année dernière, il était à Calcutta ; Khiva recevra sa visite plus tard, et partout il est reçu avec respect par ses coreligionnaires. C’est un homme grave, ferme, dur. Il connaît le monde et sait mieux que personne l’état actuel de l’Univers. Il n’est pas humble comme ses coreligionnaires et ne supporte ni affront ni avanie. Au besoin, il se réclame de la nationalité française, exhibe un passeport de cette nation, qui le désigne comme né à Alger, et réclame avec hauteur la protection des Consuls en les menaçant de s’adresser aux journaux, s’ils ne lui font rendre justice. C’est un personnage terrible et que tout le monde redoute.

Il a bien vite fait de réunir dans sa tente les juifs des deux caravanes, et c’est là qu’on s’apprend mutuellement ce qu’il y a à vendre et à échanger de part et d’autre  : les noms des grands marchands, la nature et le poids des denrées qu’ils portent avec eux, enfin les nouvelles grandes et petites.

De pareilles rencontres déterminent généralement un séjour assez long de la part des caravanes lorsque, toutefois, les circonstances de saison, de sécurité, de lieux et d’approvisionnement le permettent. Alors il se produit aussi du mouvement dans les deux populations. Ceux-ci rebroussent chemin vers l’ouest avec les Orientaux ; ceux-là, qui étaient venus parmi eux, s’attachent aux gens venus de l’ouest. On a beaucoup agi, intrigué, remué, on se dit adieu, on se sépare.

Mais il existe aussi des caravanes d’un tout autre genre et auxquelles on n’est jamais pressé de se rallier. Au contraire, on double volontiers une marche pour ne pas rester campé auprès d’elles. Ce sont les caravanes sacrées, dont les mulets, les chameaux, les chevaux portent, au lieu de marchandises, des bières avec leurs morts, que l’on va enterrer dans quelque ville sainte ; à Meshèd, à Goum, à Kerbela. Ces caravanes ne sont, d’ailleurs, pas plus tristes que les