Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/52

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Là-dessus, quand elle vit les yeux d’Omm-Djéhâne attachés sur les siens, elle lui raconta, d’un bout à l’autre, la conversation qu’elle venait d’avoir avec Grégoire Ivanitch.

Aux nombreuses précautions oratoires qu’elle employa, aux phrases séduisantes intercalées dans son récit, à l’accent mielleux et caressant donné à toutes ses paroles, à ses réticences, à ses nombreux serments, il était clair que la maîtresse danseuse ne s’attendait pas à convertir aisément la jeune lesghy. Aussi fut-elle agréablement surprise, quand, après un moment de réflexion assez court, celle-ci lui fit une réponse encourageante et qu’elle n’avait pas prévue.

— Comment, dit-elle, serais-je sûre que ce Grégoire Ivanitch et les autres ne me tendent pas un piège ?

— Tu serais donc disposée, fleur de mon âme, à accepter le Kaïmakam pour mari ?

— Tout de suite, mais je ne veux pas être trompée. Elle dit ces mots rudement ; ses yeux qui, déjà, n’étaient pas naturellement à fleur de tête, mais un peu tragiquement enfoncés sous un front bombé, semblèrent se creuser davantage, et toute l’expression de son visage fut si parlante, que les Splendeurs de la Beauté répondit avec conviction :

— Comment veux-tu que l’on s’y joue ? On aurait, je crois, fort à faire.

Omm-Djéhâne ne répondit rien. Elle attacha son regard sur le plancher et tomba dans la rêverie. Sa maîtresse, saisie d’une docilité si merveilleuse, lui passa le bras autour du cou et allait l’embrasser, quand la petite servante sale entra.

— Madame, dit-elle, le seigneur maître de police vous envoie dire qu’il faut venir ce soir chez le gouverneur avec Djemylèh et Talhemèh pour danser.

— Est-ce qu’il y a une fête ?

— Il y a des hôtes étrangers.

— Des officiers ?

— Des officiers. C’est son domestique qui me l’a dit. Mais il y aura aussi des Musulmans, Aga-Kan et Shems-Eddyn-Bey.