Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/75

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Elle avait du mépris plein les yeux.

— Que voulez-vous donc faire de lui ?

— Un homme. C’est une femme, c’est un lâche, c’est un ivrogne. Il croit tout ce qu’on lui dit, et je le fais tourner comme je veux. Pourquoi pensez-vous que je puisse l’aimer ? Mais il est le fils de mon oncle, l’unique parent qui me reste ; je n’entends pas qu’il se déshonore plus longtemps ; il me prendra chez lui, je suis sa femme, qui voulez-vous que j’épouse, sinon lui ? Je le détacherai de ses habitudes honteuses, je le servirai, je le garderai, et, quand il sera tué, ce sera comme un brave, par les ennemis de sa famille, et je le vengerai.

Moreno fut un peu étonné. Il avait des parents dans les montagnes de Barcelone ; mais il ne connaissait ni Catalane, ni Catalan de la force de cette petite femme. Pour lui trouver une rivale digne d’elle, il lui eût fallu remonter jusqu’aux Almogavares, et il n’avait pas le temps de chercher si loin.

— Je vous en prie, mademoiselle, soyons moins vifs. Assanoff ne mérite pas qu’on parle de lui sur ce ton-là ; c’est un galant homme, et vous ne l’entraînerez pas à la dérive.

— Qui m’en empêchera ?

— Moi !

— Vous ?

— Parfaitement !

— Qui êtes-vous donc, vous ?

— Juan Moreno, ancien lieutenant aux chasseurs de Ségovie, aujourd’hui cornette aux dragons d’Imérétie, grand serviteur des dames, mais assez entêté.

Il n’avait pas fini qu’il vit briller une lame scintillante à un pouce de sa poitrine. Instinctivement, il étendit les bras et il eut le temps de saisir le poignet d’Omm-Djéhâne, au moment où le couteau affilé lui entrait dans la chair. Il tordit le bras de l’ennemie, la repoussa sans la lâcher (elle-même ne laissa pas tomber son arme) ; elle le regardait avec des yeux de tigresse ; lui la fixait avec des yeux de lion, car il était en colère, et il la colla violemment contre la muraille :