Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/96

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revenus d’une somme assez forte, confiée à des marchands respectables. Il n’exerçait aucune profession ; et, n’ayant ambition aucune, ne se souciant pas de devenir un grand personnage, il s’était constamment refusé à se faire domestique. Ce n’est pas que son bon caractère connu ne lui eût valu, à plusieurs reprises, les propositions les plus séduisantes.

Ayant ainsi renoncé à devenir premier ministre, et, comme il faut pourtant qu’un homme s’occupe, il avait senti s’éveiller en lui une certaine curiosité pour les choses de l’intelligence. Dans sa jeunesse, après avoir quitté l’école, il avait appris de la théologie, dans ce beau collège neuf de Kâchan, où, sous de magnifiques ombrages, il avait écouté les doctes leçons de professeurs, qui n’étaient pas sans mérite, et recueilli sur ses cahiers assez d’opinions diverses des meilleurs exégètes du Livre Saint. La jurisprudence aussi l’avait un moment attiré ; mais, pourtant, ces connaissances diverses, pour vénérables qu’elles lui parussent, ne parlaient pas beaucoup à son imagination. De sorte, que, après avoir pris un plaisir modéré à des questions comme celles-ci : L’Imam Mehdy existe-t-il dans le monde avec ou sans conscience de lui-même ? il s’était retiré peu à peu de ces délices de la réflexion, et il menaçait de tomber dans une oisiveté assez morne, quand la fortune le mit en rapport avec un personnage qui exerça sur lui une influence décisive.

C’était un soir de Ramazan. Malheureusement, les fidèles observent rarement de façon très-exacte le jeûne commandé par la loi dans ce temps consacré. Cependant, il faut aussi l’avouer, il n’est presque personne qui ne tienne à passer pour le faire, et, de cette façon, les apparences du moins sont sauvées. De sorte, que ce sont précisément les hommes sans conscience qui ont mangé leur pilau, tout à l’aise, dans un coin, à l’heure ordinaire du déjeuner, qui, lorsque le soir arrive, sont les plus empressés à se plaindre de la faim qui ne les tourmente pas, de la faiblesse qui ne les envahit guère, et à appeler, avec les cris les plus suppliants, le coucher du soleil. Il faut remercier Dieu et son Prophète de ce que ce spectacle édifiant est abondamment fourni dans toutes les villes de l’Iran, à l’époque sainte.