Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/111

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voix piteuse le gros Ghoulam-Aly, pressant l’instrument chéri à un pouce de ses lèvres ; descends donc, soleil, fils de chien, et que ton père soit brûlé, pour la souffrance que tu nous prolonges !

— Oh ! Hassan ! oh ! Hussein ! saints Imams ! Je jure que le soleil est déjà disparu depuis une grande heure, s’écriait lamentablement Kouly-Aly, le drapier ; je ne sais pas quels aveugles nous sommes de ne pas voir qu’il fait nuit !

S’il avait fait nuit, comme ce bon musulman l’assurait, il était encore assez grand jour pour s’en apercevoir. Mais son insinuation n’eût pas de succès.

Quant à Mirza-Kassem, il était patient et ne disait rien. Seulement, il considérait avec assez de complaisance deux œufs durs placés devant lui, quand tout à coup le canon de la citadelle se fit entendre. Il était désormais officiel que le soleil avait disparu ; tous les kaliouns se mirent donc à fumer de compagnie, la boutique de melons, d’œufs durs et de concombres fut à l’instant mise au pillage ; pendant ce temps, les marchands de thé remplissaient leurs verres de la boisson bouillante ; la foule s’en emparait avec emportement ; les verres se vidaient et se remplissaient, on chantait, on criait, on riait, on se poussait, on se bousculait, on s’amusait beaucoup.

Alors, un grand derviche, maigre comme une pierre, noir comme une taupe, brûlé par mille soleils, vêtu seulement d’un pantalon de coton bleu, la tête nue,