Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/26

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conservent quelque bouture inaperçue et reparaissent. C’était, en un mot, un Doukhoboretz ou « Ennemi de l’Esprit ». Le gouvernement et le clergé russes se sont armés contre les religionnaires dont Vialgue faisait partie. Quand ils les découvrent dans les provinces intérieures de l’empire, ils ne les mettent pas à mort, ainsi qu’on le faisait au moyen âge, mais ils les saisissent et les déportent au Caucase.

Les Ennemis de l’Esprit sont d’opinion que la partie saine, bonne, innocente, inoffensive de l’homme, c’est la chair. La chair n’a d’elle-même aucun mauvais instinct, aucune tendance perverse. Se nourrir, se reproduire, se reposer, ce sont là ses fonctions : Dieu les lui a données et les lui rappelle sans cesse par les appétits. Tant qu’elle n’est pas corrompue, elle recherche purement et simplement les occasions de se satisfaire ; ce qui est marcher dans les voies de la justice céleste ; et plus elle se satisfait, plus elle abonde dans le sens de la sainteté. Ce qui la corrompt, c’est l’Esprit. L’Esprit est d’origine diabolique. Il est parfaitement inutile au développement et au maintien de l’Humanité. Lui seul invente des passions, de prétendus besoins, de prétendus devoirs qui, contrariant à tort et à travers la vocation de la chair, engendrent des maux sans fin. L’Esprit a introduit dans le monde le génie de la contradiction, de la controverse, de l’ambition et de la haine. C’est de l’Esprit que vient le meurtre ; car la chair ne vit que pour se