Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/289

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— C’est vrai, maîtresse, répliquais-je encore ; mais c’est que les Turkomans sont des gens d’esprit, et nous nous sommes des ânes.

Alors elle recommençait à rire aux éclats et ne s’apercevait jamais que son lait et son beurre diminuaient à mon profit. J’ai toujours remarqué que les gens les plus forts sont toujours les moins intelligents. Ainsi voyez les Européens ! On les trompe tant que l’on veut, et, partout où ils vont, ils s’imaginent qu’ils sont supérieurs à nous, parce qu’ils sont les maîtres ; ils ne savent pas et ne sauront jamais apprécier cette vérité que l’esprit est bien au-dessus de la matière. Les Turkomans se montrent exactement pareils. Ce sont des brutes comme eux.

Je fus employé par mes propriétaires à fendre du bois, à porter de l’eau, à conduire les moutons à la pâture. Quand je n’avais pas d’ouvrage, j’allais me promener à la campagne. Je m’étais fait quelques amis, et je chantais des chansons. Je savais aussi fabriquer des pièges pour prendre les souris et j’appris à quelques femmes à confectionner des plats persans que les hommes trouvaient admirables. On me récompensait, en me donnant du thé beurré et des galettes. Il y avait aussi assez souvent des noces et j’y dansais, ce qui faisait rire beaucoup toute l’assistance, qui, d’ailleurs, était de très-bonne humeur, et on peut bien comprendre pourquoi. Notre camp, les camps voisins et toute la nation étaient dans un état d’exaltation à