Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/292

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le vis qui causait avec sa femme. En m’apercevant, il m’appela.

— Aga, me dit-il, tu n’es plus mon esclave, on t’a racheté ; tu es mon hôte, et tu vas partir pour Meshhed.

Je fus tellement saisi en entendant ces paroles, que je me crus sur le point d’étouffer, et il me sembla voir la tente tourner autour de moi.

— Est-ce vrai ? m’écriai-je.

— Que ces Iraniens sont bêtes ! dit la femme en riant ; qu’est-ce qu’il y a là d’extraordinaire ? Ton Gouvernement a racheté ses soldats au prix de dix tomans par tête. On aurait pu les lui vendre moins bon marché, mais puisque cette sottise est faite et que nous avons touché notre argent, va-t’en chez toi et ne fais pas le sot.

À peine entendis-je ce que disait cette créature. Il me passa comme une vision devant les yeux. Je vis, oui, je vis la jolie vallée du Khamsèh où je suis né ; j’aperçus distinctement le ruisseau, les saules, l’herbe touffue, les fleurs, l’arbre au pied duquel j’avais enfoui mon argent, ma belle, mon adorée Leïla dans mes bras, mes chasses, mes gazelles, mes tigres, mon cher Kérym, mon excellent Souleyman, mon bien brave Abdoullah, tous mes cousins, le bazar de Téhéran, la boutique de l’épicier et celle du rôtisseur, les figures des gens que je connaissais ; oui, oui, oui, ma vie entière m’apparut à cette minute, et une voix criait en