Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/383

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et on ne comprend pas leur jargon. Toutes ces puérilités sont peu de chose, et on croit généralement que le voyageur se contente de ces délicates remarques qui pourraient, à la rigueur, avec un peu de peine, étendre le cercle de ses expériences et pénétrer un peu avant sous l’écorce des choses. Ce qui l’arrête court, c’est qu’il ne sait pas voir ; il ne verrait jamais, dût-il voyager aussi longtemps qu’Isaac Laquedem, les beautés, les singularités, les traits curieux de ce qui s’étale sous ses regards. Gloire infinie à cette toute-puissante et bonne Sagesse, qui a bien donné assurément aux sots et aux méchants l’empire du monde, mais qui n’a pas voulu que ces méchants et ces sots pussent en apercevoir les perfections, en mesurer, les douceurs et en posséder les mérites !

Il y avait, sur le paquebot, deux ou trois Anglais, trois ou quatre Français, cinq à six Allemands, fort préoccupés du dîner et du déjeuner du bord, jouant au whist une partie de la journée, et le reste du temps causant avec deux actrices de Marseille engagées pour le théâtre de Péra ; plus un marchand de meubles qui allait s’établir à Smyrne. Ces gens sont allés en Orient et en sont revenus avec le même profit qu’ils auraient eu à tourner dans une chambre vide. Gloire, encore une fois, au Dieu bon et bienveillant, qui a réservé quelque chose exclusivement pour les élus !

Valerio savait beaucoup ; Lucie ignorait ; mais Lucie sentait par instinct, le prix de ce qui a du prix ; elle en