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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/419

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mensaux de la tente italienne ; mais ils eurent bientôt un nouvel associé. Celui-là se nommait Sèyd-Abdour-rahman et c’était un érudit. Il raconta un matin son histoire en ces termes  :

— Je suis né à Ardébyl, ville célèbre, peu éloignée de la mer de Khozèr, que vous autres, Européens, vous appelez la mer Caspienne. Comme ma famille ne comptait que des moullas, le moulla, mon père, les trois moullas, mes oncles, les huit moullas, mes cousins, je ne pouvais manquer de devenir un personnage très-savant, et c’est ce qui advint. Je fus battu si souvent et si fort que j’appris à fond la théologie, la métaphysique, l’histoire, la poésie et je n’avais pas quinze ans que l’on me citait dans tous les collèges de la province comme un des argumentateurs les plus subtils que l’on eût jamais entendu vociférer du haut d’une chaire.

Cela ne m’empêcha nullement de prendre un certain goût pour le vin, ce qui me conduisit à l’eau-de-vie, et cette liqueur, d’ailleurs maudite, opérant en moi une réforme intellectuelle d’une valeur prodigieuse, je compris, un beau jour, le néant de toutes choses ; le prophète ne me parut plus aussi sublime que vous pouvez le penser ; les leçons que j’avais faites au collège à des foules d’étudiants se révélèrent à moi comme aussi absurdes que celles dont on m’avait abreuvé moi-même, et, devant cette ruine générale de toutes mes opinions, je résolus de me mettre à voyager,