Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/436

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fin les inconstances de la fortune ; mais voilà d’autres personnages qui se présentent ; on ne les connaît pas ; on parle d’eux, on cherche à les aborder ; on veut se lier avec ces inconnus et ils ne demandent pas mieux de leur côté. Les jours se passent, les affaires s’avancent. On se dit : On part demain  ! Je sais de bonne part que Kerbelay-Houssein a cette intention. — Il l’a dit à Mourad-Bey. — Je le tiens précisément de Nourraddin-Effendi, qui l’a appris d’un ami très-confident de Kerbelay-Houssein. — Vous en êtes sûr ? — J’en suis sûr, sur ma tête  ! sur la vôtre  ! sur mes yeux  ! par tous les Imams et les quatre-vingt-dix mille prophètes !

Le lendemain, on ne part pas ; mais on part huit jours après. On marche comme on a fait jusque-là. On rencontre de nouvelles aventures, les unes bonnes, les autres mauvaises ; jamais les mêmes, toujours variées comme chacune des feuilles qui, par millions, forment la toiture d’un bois touffu, et on voyagerait ainsi avec un maître muletier et tant de compagnons divers pendant des centaines de siècles, que jamais on ne ferait les mêmes rencontres ni ne retrouverait les mêmes conjonctions de choses. On peut donc s’expliquer que lorsque les hommes ont goûté une fois de ce genre d’existence, ils n’en peuvent plus subir un autre. Amants de l’imprévu, ils le possèdent, ou plutôt s’abandonnent à lui du soir au matin, et du matin jusqu’au soir ; avides d’émotions, ils en sont abreuvés ; curieux, leurs