Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/96

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Omm-Djéhâne, la pauvre fille, n’était pas sortie un seul instant de sa vie de l’émotion produite sur elle par la prise de l’aoûl. Toujours elle avait gardé sous ses yeux, elle y gardait encore les flammes dévorant sa maison, les cadavres des siens tombant les uns sur les autres, les figures farouches et exaspérées des soldats ; elle avait gardé dans ses oreilles les cris de désespoir et de détresse, les détonations des armes à feu, les vociférations des vainqueurs. Aux soins que l’on avait eus d’elle, pendant sa petite enfance, dans la famille du général, elle n’avait absolument rien compris, sinon qu’elle était au milieu des assassins ; elle se considérait, non-seulement comme une esclave, mais comme une esclave humiliée, et l’abandon avec lequel sa protectrice, excellente femme, racontait à chaque visiteur nouveau l’histoire authentique de la petite lesghy, dans le but, assurément, de rendre l’enfant plus intéressante, n’avait jamais manqué d’être ressenti par Omm-Djéhâne comme le comble de l’insulte. Elle n’y voyait que les vanteries et l’arrogance des vainqueurs. On avait eu peine à l’instruire ; comme tous les Asiatiques, et surtout comme les gens de sa nation, elle était d’une intelligence merveilleuse ; d’ailleurs, ayant eu l’occasion de remarquer que savoir passait pour un mérite, et que les filles de la générale, apprenant moins bien et avec moins de facilité, étaient grondées et pleuraient à chacun de ses succès, elle avait redoublé d’efforts et éprouvé beaucoup de joie de leur valoir ce